Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/67

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opté pour l’imprudence. Elle s’était dit que ce garçon devenait follement amoureux d’Ely, et que cette dernière se prêtait par désœuvrement, par légèreté, à un jeu vraiment trop périlleux, sinon coupable. Elle avait résolu de l’avertir. Puis elle n’avait pas osé, en proie à cette espèce de paralysie morale donc les personnalités fortes frappent les personnalités faibles, par le seul magnétisme de leur présence. La petite scène surprise ce soir dans la salle de jeu allait lui donner l’énergie de parler. L’action de Pierre Hautefeuille, cette immédiate démarche pour se procurer l’étui à cigarettes vendu par Mme de Carlsberg, avait remué la fidèle amie à une profondeur singulière. Elle y avait soudain découvert la preuve d’une attendrissante analogie entre sa façon de sentir et celle de l’amoureux. Venue elle-même se mêler à la foule des spectateurs pour suivre le jeu de son amie dont l’énervement l’inquiétait, elle l’avait vue vendre la boite d’or. Cette action de « Bohémienne » lui avait été cruellement pénible, et plus pénible encore de penser que ce bijou si intime, dont Ely se servait toujours, serait brocanté dans une des boutiques de Monte-Carlo, et donné en cadeau par quelque joueur à quelque fille. Tout de suite elle avait cherché à joindre l’usurier pour faire ce qu’avait fait Pierre Hautefeuille. De constater qu’ils avaient eu la même idée, avait remué en elle une corde profonde de sympathie. Elle avait été touchée dans son affection pour Mme de Carlsberg et comme caressée dans son doux esprit de