Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/68

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femme romanesque, si peu habituée à trouver chez les hommes un écho à ses délicatesses. Elle s’était dit : « Le malheureux ! Ce que je craignais est arrivé, il l’aime ! … Est-il encore temps d’avertir Ely et d’empêcher qu’elle ait sur la conscience le malheur de cet enfant ? » Cette réflexion avait triomphé de toute timidité chez la naïve et bonne créature. Elle s’était promis de parler à son amie aussitôt qu’elle en aurait l’occasion, et cette occasion allait se présenter le soir même.

Elles étaient sorties du casino vers onze heures. Brion, toujours très correct, voire courtois devant témoins, avait reconduit les deux femmes jusqu’à la villa, magnifique construction que le financier avait dressée, comme une réclame de marbre, dans l’endroit le plus en vue de la colline. Il les avait quittées aussitôt, et, une fois seules, la baronne avait demandé à son amie de marcher un peu dans ce jardin de la villa Brion, aussi extraordinaire, aussi improvisé, aussi célèbre que la villa elle-même : elle voulait, avait-elle dit, devant repartir pour Cannes le lendemain, jouir une dernière fois de ce jardin par cette nuit réellement féerique. Enveloppées de leurs fourrures, les deux femmes commencèrent d’aller et de venir sur la terrasse d’abord, puis dans les allées. Elles marchaient silencieuses, saisies toutes deux par l’antithèse entre la fiévreuse atmosphère du casino où elles avaient passé la soirée et la magnificence paisible du paysage qui les entourait maintenant.