Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/89

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connais trop. Je sais qu’une fois entrée dans ce chemin de la passion, j’irai jusqu’au bout, que je ne garderai rien à moi, que je donnerai tout mon cœur pour toujours, que je mettrai toute ma vie sur cet amour, et, s’il allait me manquer, si… » Elle n’acheva pas, mais son amie put comprendre la redoutable perspective en l’entendant continuer : « Et j’ai peur pour lui aussi. Que c’est cruel de se dire : « Il est si jeune, si intact ! Il croit tellement en moi… S’il savait ! … » Je ne peux pas mieux te prouver combien j’ai changé : il y à six semaines, quand on m’a présenté Hautefèuille, je n’avais qu’une idée : « Comment apprendrai-je à Du Prat que je connais son ami ? » Aujourd’hui, pour que ces deux hommes ne se revoient jamais, et, s’ils se revoient, pour que mon nom ne soit jamais prononcé entre eux, je donnerais dix ans de ma vie… Comprends-tu maintenant pourquoi les larmes ont jailli de mes yeux quand tu m’as raconté ce qu’il avait fait ce soir ? J’ai pensé qu’il m’avait vue employer mon temps loin de lui, comment ! Et j’ai eu honte de cela, une dure honte : juge quelle autre honte s’il savait le reste. »

— « Et que vas-tu faire ? » s’écria douloureusement Mme Brion. « Ces deux hommes se reverront. Ils parleront de toi. Si cet Olivier aime son ami comme tu prétends qu’il l’aime, ils se diront tout… Écoute, » continua-t-elle en joignant les mains, « écoute ce que l’affection la plus tendre, la plus dévouée, te crie par ma bouche. Vois, je ne te dis rien de tes devoirs, de l’opinion