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AVANT-PROPOS.

Ses loisirs de captivité sont consacrés au relevé de ses souvenirs, encore récents ; il prend des notes. Avec les lettres écrites à sa mère, elles serviront, plus tard, à rédiger ses Mémoires. Et alors il se demande si c’est bien lui qui a écrit tout cela, tant le rappel de ce qu’il a vu le frappe de nouveau. Il se demande s’il n’a pas été le jouet de son imagination. Mais il se raffermit et se complète en causant du passé avec d’anciens compagnons dont il donne la liste. La concordance de leurs témoignages prouve qu’il n’a point rêvé.

Le premier retour des Bourbons l’avait fait démissionner aussitôt[1], sous le prétexte de « partager, avec de vieux parents, le fardeau de leur travail, pour le soutien d’une nombreuse famille ». Il pensait à un mariage, qui suivit de près sa lettre au Ministre.

La vie de famille aussi a ses épreuves : Bourgogne le sentit après la perte de sa femme, laissant deux filles à élever. Il contracta un second mariage et eut encore deux enfants[2].

Établi marchand mercier, comme son père, il quitta bientôt le magasin pour s’occuper d’affaires industrielles où il perdit une partie de son bien. Ses habitudes simples, son heureux naturel l’aidèrent à supporter ces revers, qui ne l’empêchèrent point de donner une instruction convenable à ses filles. Il les adorait et sut leur inspirer l’amour des arts dont il était épris : l’une s’adonnait à la peinture, l’autre à la musique. Doué lui-même d’une jolie voix, il chantait à la fin des repas de famille, selon la coutume aujourd’hui presque partout délaissée. Il avait réuni, dans sa demeure, une collection, relativement importante, de tableaux, de curiosités, de souvenirs qu’on venait voir.

À Paris, où il se rendait quelquefois, il ne manquait point de visiter, aux Invalides, ses anciens compagnons d’armes. Il en retrouvait aussi quotidiennement plusieurs, dans sa ville natale, au café où ils causaient de leurs campagnes. Au dîner qui les réunissait le jour anniversaire de l’entrée des Français à Moscou, ils buvaient, à tour de rôle, dans un gobelet rapporté du Kremlin : les vieux soldats de la Garde avaient le culte du passé.

  1. « L’Empereur n’étant plus en France, dit-il lui-même dans une note de ses Mémoires, je donnai ma démission. »
  2. Bourgogne épousa, à Condé, le 31 août 1814, Thérèse-Fortunée Demarez. Après sa mort, arrivée en 1822, il se remaria avec Philippine Godart, originaire de Tournai.