Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/206

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lard ayant demandé qui était la, une voix nasillarde se fit entendre et l’on répondit : « Samuel ! » Alors la femme dit à son mari que c’était un juif du village où elle avait été, le soir. Lorsque je vis que c’était un enfant d’Israël, je repris ma place, ayant soin toutefois de rassembler autour de moi tout ce que nous avions, car je n’avais pas de confiance dans le nouveau venu.

Je dormis assez bien deux heures, jusqu’au moment où Picart m’éveilla pour manger la soupe au mouton. Il se plaignait toujours d’un grand mal de tête, par suite, probablement, de ses rêves, car il me dit qu’il n’avait fait que rêver Paris et Courbevoie, et, sans se rappeler qu’il m’en avait déjà conté une partie, il me dit que, dans son rêve, il avait été danser à la barrière du Roule[1] où, me dit-il, il avait bu avec des grenadiers qui avaient été tués à la bataille d’Eylau.

Comme nous allions manger, le juif nous présenta une bouteille de genièvre que Picart s’empressa de prendre. Alors il lui demanda qui il était et d’où il venait ; il lui parlait en allemand. Ensuite il goûta ce que contenait la bouteille, et, pour remercier, finit par lui dire que cela ne valait pas le diable. Effectivement c’était du mauvais genièvre de pommes de terre.

L’idée me vint que le juif pourrait nous être très utile en le prenant pour guide ; nous avions de quoi tenter sa cupidité. De suite, je fis part à Picart de mon idée, qu’il approuva, et, comme il se disposait à en faire la proposition, notre cheval, qui était couché, se releva tout effrayé, en cherchant à rompre le lien auquel il était attaché ; le chien se mit à beugler (sic). Au même instant, nous entendîmes plusieurs loups qui vinrent hurler autour de la baraque et même contre la porte. C’était à notre cheval qu’ils en voulaient. Picart prit son fusil pour leur faire la chasse, mais notre hôte lui fit comprendre qu’il ne serait pas prudent, à cause des Russes. Alors il se contenta de prendre son sabre d’une main et un morceau de bois de sapin tout en feu de l’autre, se fit ouvrir la porte et se mit à courir sur les loups qu’il mit en fuite. Un instant après, il

  1. Rendez-vous des maîtresses des vieux grenadiers de la Garde. On y dansait. (Note de l’auteur.)