Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/207

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rentra en me disant que cette sortie lui avait fait du bien ; que son mal de tête était presque passé. Ils revinrent encore à la charge, mais nous ne bougeâmes plus.

Le juif, comme je m’y attendais, nous demanda si nous n’avions rien à vendre ou à changer. Je dis à Picart qu’il était temps de lui faire des propositions pour qu’il puisse nous conduire jusqu’à Borisow ou jusqu’au premier poste français. Je lui demandai combien il y avait de l’endroit où nous étions à la Bérézina. Il nous répondit que, par la grand’route, il y avait bien neuf lieues ; nous lui fîmes comprendre que nous voulions, si cela était possible, y arriver par d’autres chemins. Je lui proposai de nous y conduire, moyennant un arrangement : d’abord les trois paires d’épaulettes que nous lui donnions de suite, et un billet de banque de cent roubles, le tout d’une valeur de cinq cents francs. Mais je mettais pour condition que les épaulettes resteraient entre les mains de notre hôte, qui les lui remettrait à son retour ; que, pour le billet de banque, je le lui donnerais à notre destination, c’est-à-dire au premier poste de l’armée française ; que, sur la présentation d’un foulard que je montrai aux personnes présentes, on lui remettrait les épaulettes, mais que lui, Samuel, remettrait aux personnes de la maison vingt-cinq roubles ; que le foulard serait pour la plus jeune fille, celle qui m’avait lavé les pieds. L’enfant d’Israël accepta, non sans faire quelques observations sur les dangers qu’il y avait à courir, en ne passant pas par la grand’route. Notre hôte nous témoigna combien il regrettait de ne pas avoir dix ans de moins, afin de nous conduire, et pour rien, en nous défendant contre les Russes, s’il s’en présentait. En nous disant cela, il nous montrait sa vieille hallebarde attachée le long d’une pièce de bois. Mais il donna tant d’instructions au juif sur la route, qu’il consentit à nous conduire, après avoir toutefois bien regardé et vérifié si tout ce que nous lui donnions était de bon aloi.

Il était neuf heures du matin lorsque nous nous mîmes en route. C’était le 24 novembre. Toute la famille polonaise resta longtemps sur le point le plus élevé, nous suivant des yeux et nous faisant des signes d’adieu avec leurs mains.

Notre guide marchait devant, tenant notre cheval par la bride. Picart parlait seul, s’arrêtant quelquefois, faisant le