Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/283

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pièce de cinq francs, de conduire Faloppa jusqu’à Kowno ; mais, sous prétexte qu’il était tard et qu’ils avaient froid, ils firent quelques difficultés. Comprenant aussitôt que c’était plutôt la crainte de ne pas être payés, car ils parlaient la langue allemande et je devinais, par quelques mots, de quoi il était question, je pris deux pièces de cinq francs dans ma carnassière, et j’en donnai une, en promettant l’autre en arrivant. Ils furent contents ; ensuite, je dis aux trois autres de se diriger en arrière, où était le chasseur près duquel nous étions passés, et qu’ils auraient de l’argent pour le conduire à la ville ; ils y furent de suite.

Deux paysans avaient relevé Faloppa ; mais le pauvre diable n’avait plus de jambes ; ils parurent embarrassés. Alors je leur indiquai un moyen, c’était de l’asseoir sur un fusil, en le maintenant derrière, chacun avec un bras. Mais, de cette manière, nous n’allâmes pas loin. Ils se décidèrent à le porter sur leur dos, chacun à son tour, tandis que l’autre portait son sac et son fusil et me prenait sous le bras, car je ne pouvais plus lever les jambes. Pendant le trajet pour arriver à la ville, qui n’était que d’une demi-lieue, nous fûmes obligés de nous arrêter cinq ou six fois pour nous reposer et changer Faloppa de dos : s’il nous eût fallu marcher un quart d’heure de plus, nous ne fussions jamais arrivés.

Pendant ce temps, des masses de traîneurs nous avaient dépassés, mais beaucoup d’autres, ainsi que l’arrière-garde, étaient encore derrière nous. On entendait encore, par intervalles, quelques coups de canon qui semblaient nous annoncer le dernier soupir de notre armée. Enfin nous arrivâmes à Kowno par un petit chemin que nos paysans connaissaient et que la colonne ne suivait pas : le premier endroit qui s’offrit à notre vue fut une écurie. Nous y entrâmes ; les paysans nous y déposèrent ; mais avant de leur donner la dernière pièce de cinq francs, je les suppliai de nous chercher un peu de paille et de bois. Ils nous apportèrent un peu de l’un et de l’autre, et nous firent même du feu, car, quant à moi, il m’eût été impossible de me bouger, et pour Faloppa, je le regardais comme mort : il était assis dans l’encoignure de la muraille, ne disant rien, mais faisant, par moments, des grimaces, ensuite portant les mains