Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/82

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malheureuse pour une femme. Je dirai que, dans cette circonstance, le colonel Bodel, qui commandait notre régiment, fit tout ce qu’il était possible de faire pour le soulagement de cette femme, prêtant son manteau pour couvrir l’abri sous lequel était la mère Dubois, qui supporta son mal avec courage. Le chirurgien du régiment n’épargna rien, de son côté ; enfin le tout finit heureusement. La même nuit, nos soldats tuèrent un ours blanc qui fut à l’instant mangé.

Après avoir passé la nuit la plus pénible, à cause du grand froid, nous nous mîmes en route. Le colonel prêta son cheval à la mère Dubois, qui tenait son nouveau-né dans les bras, enveloppé dans une peau de mouton ; tant qu’à elle, on la couvrit avec les capotes de deux hommes de la compagnie, morts dans la nuit.

Ce jour-la, qui était le 6 novembre, il faisait un brouillard à ne pas y voir, et un froid de plus de vingt-deux degrés ; nos lèvres se collaient, l’intérieur du nez, ou plutôt le cerveau se glaçait ; il semblait que l’on marchait au milieu d’une atmosphère de glace. La neige, pendant tout le jour, et par un vent extraordinaire, tomba par flocons, gros comme personne ne les avait jamais vus ; non seulement l’on ne voyait plus le ciel, mais ceux qui marchaient devant nous.

Lorsque nous fûmes près d’un mauvais village[1], nous vîmes une estafette arriver à franc étrier, demandant après l’Empereur. Nous sûmes, un instant après, que c’était un général apportant la nouvelle de la conspiration de Malet, qui venait d’avoir lieu à Paris.

Comme l’endroit où nous étions arrêtés était près d’un bois, et que, pour se remettre en route, il fallait beaucoup attendre à cause que le chemin était étroit, l’on se trouvait beaucoup de monde en masse, et comme nous étions plusieurs amis réunis sur le bord de la route, frappant des pieds pour ne pas être saisis du froid, causant de nos malheurs et de la faim qui nous dévorait, je sentis, tout à coup, l’odeur du pain chaud. Aussitôt je me retourne, et derrière et près de moi, je vois un individu enveloppé d’une grande pelisse garnie de fourrures, sous laquelle sortait

  1. Ce village se nomme Mickalowka. (Note de l’auteur.)