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Page:Bousquet - Iris et petite fumée, 1939.djvu/100

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mes yeux donnaient à un étalage de fleurs où étaient distribués des buissons de roses et d’asphodèles autour d’une peinture maladroite qui représentait une sorte de grand ange rouge aux ailes d’argent. Je me disais : « Je ne vois pas ce tableau, ni l’ordonnance magique de ces bouquets, je vois mon regard où celle que j’aime se cache ; et où toutes les roses du monde errent sur mon bonheur de l’avoir à moi.


Je me sentais si merveilleusement allégé par cette idée que mon estomac se mettait à me peser comme dans l’instant de lucidité organique qui précède immédiatement une syncope. Mon imagination me plongeait dans cette faiblesse et m’empêchait d’en mourir. Ainsi étais-je envahi par la durée exceptionnelle d’un instant qui se prolongeait entre deux vertiges comme une ombre de vie qui mettait mon cœur et ma raison dans le même sac. Accédant à l’état de grâce que l’on nomme folie, j’y portais jusqu’au goût qu’ont les hommes de se connaître. Une femme, pensais-je, est la chair de mon regard comme tout ce que je vois en est la lumière.
Ces quelques mots m’apportaient une espèce d’apaisement intellectuel. C’était, à mon sens, une vérité fort précise que je venais tant bien que mal d’énoncer. J’avais pensé que la vie d’un amant n’est qu’une