M. Sureau que cet accès de sauvagerie m’avait fait
perdre une occasion de connaître son éditeur.
« J’ai publié des livres, me disait mon malade un
moment plus tard. Cependant, tout ce que j’écrivais
était obscurci dans ma pensée, qui n’avait pas
eu le courage d’envisager sérieusement mon état
misérable. Le même esprit qui me déguise ma
misère ne pouvait pas me fournir des données communicables.
Alors, j’ai voulu plaire aux hommes en
leur racontant les songes qui me rendaient ma vie
supportable. Le bon sens qui veille chez les esprits
les plus simples n’allait pas se renier en ma faveur.
Ils n’ont rien à oublier, eux, sinon qu’il existe des
hommes à plaindre, comme moi. »
Pour le coup, je l’arrêtais net : « Ho ! Ho ! m’écriai-je
aussitôt que je l’eus compris, voilà qui me
paraît bien audacieux. Vous vous reprochez de
n’avoir pas votre intelligence assujettie à l’idée de
votre corps tel qu’il est. Nous ne serons pas longtemps
d’accord si vous condamnez ainsi en dessous
ce qu’on me donnait à admirer au collège. Roublard
que vous êtes, vous vous imaginez que je ne vois
pas ce que votre accès d’humilité enveloppe de convictions
incompatibles avec les miennes ? Allez !
Allez ! C’est la plus haute dignité d’un homme de
croire que sa pensée le délivre de lui-même ; et
votre noblesse à vous d’avoir grandi en dehors des
Page:Bousquet - Iris et petite fumée, 1939.djvu/41
Cette page a été validée par deux contributeurs.
42
![](http://upload.wikimedia.org/wikisource/fr/thumb/9/98/Bousquet_-_Iris_et_petite_fum%C3%A9e%2C_1939.djvu/page41-1024px-Bousquet_-_Iris_et_petite_fum%C3%A9e%2C_1939.djvu.jpg)