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Page:Bousquet - Iris et petite fumée, 1939.djvu/43

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son, je n’aurais pas su dire lequel des deux venait de donner la mesure de mon attention en ne m’effleurant qu’à peine. Mais M. Sureau jeta un coup d’œil furtif vers le lit que l’on apercevait derrière les rideaux de mousseline qui fermaient l’alcôve. Quand il reprit la parole, je m’aperçus que sa voix était bizarrement altérée et comme meurtrie par ces notes sourdes qui sollicitent l’attendrissement.


« Blessé à vingt ans et précipité dans une infirmité qui devait durer toujours, j’ai voulu échapper par tous les moyens aux conséquences morales de cette diminution. J’ai tout fait pour ne pas avoir des sentiments de malade. Il me semblait que je pouvais vivre comme les autres et j’ai vécu comme eux mais plus mal.
« Votre malade a peu d’esprit mais assez de jugement. À la guerre, mon courage était celui d’un autre pour lequel je souhaitais qu’on me prît ; et j’allais au feu sans y aller, bourrant de ma peur le spectre de mon amour-propre. C’est si vrai que ma blessure, en m’atteignant dans ma dignité d’homme et de fat, anéantit d’un seul coup ma bravoure et ma prétention à la bravoure.
« Je ne pouvais pas souffrir les éloges qu’on m’adressait. J’avais été dupe de ma vanité, voilà tout ; victime d’une guerre que j’aurais inventée pour