CHAPITRE VI
Il avait interrompu mes réflexions pour me dire un
mot que je veux rapporter, car aucun ne résume
mieux notre débat :
« Si l’on ne prend pas sa vie dans son cœur, si l’on
n’est pas compris naturellement dans l’unité de
l’univers et de soi-même.
« Il ne reste plus qu’à entrer dans les voies du
génie ; et c’est bien le pire destin, mais un homme
retranché n’a pas d’autre ressource.
« Vous croyez alors qu’il est facile d’avoir du génie ?
lui dis-je. »
Un oiseau chanta très loin. On entendit le cri d’un
batelier : une écluse s’ouvrait. Les péniches voyagent
quand il fait noir :
« Le génie, me dit M. Sureau, n’est qu’une affaire
de force morale.
« Même quand nous sommes le rebut du monde, il
nous faut avoir le courage de nous séparer de nous
plutôt que de lui. C’est une force que l’on trouve en
regardant son cœur où chacun est aussi misérable