Page:Bousquet - Iris et petite fumée, 1939.djvu/96

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
97


le caractère second, une conséquence subordonnée à d’autres traits qui étaient les plus prompts à me frapper. Jamais le vent n’avait été si léger. À l’entrée de la rue des Amidonniers, où le taxi m’avait déposé, chaque gorgée de l’air que j’aspirais avait un goût différent. Dans le feuillage d’or des vitrines la lumière parlait moins à la vue qu’à la chair, son rayonnement était une source de douceur pour le corps entier qui se penchait en elle vers l’efflorescence de son bonheur. Aussi, je marchais de plus en plus lentement comme si la succession des étalages et des enseignes m’avait endormi dans mes yeux ouverts. Cet horizon n’était qu’un songe où mes regards se trouvaient avec moi par hasard : une pensée de mes yeux que la dernière lueur du soir faisait sienne. Chaque jolie passante se rendait visible par les seules forces de sa beauté et de mon bonheur comme une apparition dont mon regard n’aurait été que l’ombre.
Je me dirigeais vers le coin le plus sombre de la banlieue où était le domicile de Monsieur Sureau. Je ne marchais pas, l’espace me portait. La terre était aussi légère que moi dans le plaisir que je prenais à la fouler aux pieds. Il y avait quelque part un regard que mon amour pour cet endroit de la ville approchait de ses yeux ; un regard pour n’être avec le mien qu’un même amour, le don de mon