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DES ÉTUDES JURIDIQUES ET POLITIQUES.

excessives, conclusions toujours catégoriques, voilà dans quelle fréquentation de tous les instants l’intelligence apprend et aime à se mouvoir. « L’esprit de géométrie », au sens où l’entendait Pascal, devient sa règle. Elle perd « l’esprit de finesse », tout en dépensant beaucoup de finesse d’esprit. Elle acquiert, exerce et développe jusqu’à une maîtrise incontestée la faculté dialectique. Mais toute supériorité se paie, et celle-ci est trop souvent achetée aux dépens du sens historique.

Or, c’est précisément l’histoire, sous ses formes et dénominations les plus variées, qui est le cadre naturel des études politiques : histoire de la formation intérieure des États, histoire diplomatique et succession des traités, histoire parlementaire et législative, histoire de l’industrie et du commerce, histoire financière et fiscale, histoire des armes et des institutions militaires : tout cela complété et éclairé par l’ethnographie, la géographie politique et stratégique, la démographie, la statistique industrielle et agricole comparée, lesquelles sont aussi en un sens des histoires, — des représentations d’objets en mouvement. On ne saurait aborder ou résoudre sérieusement une question politique quelconque sans s’aider de ces abondants recueils d’expériences. Toute solution où elles ne figurent pas est de l’empirisme aveugle ou de l’idéologie vague, étrangère à la science dans les deux cas.

Si les faits rassemblés par l’histoire sont les matériaux les plus indispensables d’une science politique positive, l’histoire elle-même, considérée comme éducatrice, est la discipline la mieux faite pour préparer l’esprit au genre d’activité, pour le rompre à la méthode que nous avons tout à l’heure assignés à l’homme d’État. Le propre de l’histoire bien comprise est de rendre sensible la dépendance mutuelle de tous les éléments généraux d’une société ; d’où suit que chacun de ces éléments a son mouvement déterminé, comme dans le système planétaire, par les attractions ou les répulsions que les autres exercent sur lui, et, qu’à l’isoler de l’ensemble, on s’expose à ignorer la loi de sa gravitation ou à en donner les explications les plus décevantes. N’est-ce pas un point de vue tout pareil qui s’ouvrait tout à l’heure devant l’homme d’État ? N’avons-nous pas montré que chaque cas spécial doit s’encadrer pour lui dans le bloc d’une situation d’ensemble ? N’est-il pas clair que chacun des intérêts dont il a la garde doit être liquidé, non pas seulement d’après le compte particulier qui le concerne, mais en conformité avec la balance générale de tous les comptes ? – Dans l’universel flux des choses, qu’advient-il des