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DES RAPPORTS ET DES LIMITES

de ces considérations n’avaient pas échappé au juriste intransigeant qui rédigea le rapport ; mais il n’en sentait pas la force, ayant été habitué à chercher ailleurs ses raisons déterminantes. Il tenait le mode électoral en vigueur pour recommandable, et l’apologie qui précède pour intéressante. Mais il estimait que tout devait céder à la nécessité logique de mettre l’élection des juges consulaires d’accord avec les bases de la constitution, avec le principe du suffrage universel. Ce seul argument tout dialectique lui paraissait d’un poids à emporter la balance contre tous les arguments de fait et d’expérience accumulés dans le sens opposé. — Comment le système ainsi rectifié ne donnerait-il pas d’excellents résultats ? — On sait à quoi a abouti cet optimisme juridique. En augmentant le nombre des électeurs nominaux, il s’est trouvé qu’on avait diminué la proportion relative et parfois même la proportion absolue des électeurs effectifs, des votants.

Prenons enfin, si l’on veut, une dernière question, celle de la laïcisation du personnel enseignant des écoles primaires. Je n’ai pas à me prononcer sur le fond, je me place dans l’hypothèse — vérifiée en plusieurs pays — où les hommes d’État comme les légistes se montrent également favorables à ce changement. Or, là même où ils sont d’accord sur le but, quelle différence entre les raisons qui les déterminent et, par suite, entre les voies et moyens qu’ils sont conduits à préférer ! L’argument juridique qu’on entend citer en France et qui parait décisif à lui seul, est que si, dans une commune, il y a des protestants et des libres penseurs, ce serait un abus et une tyrannie de les mettre dans la nécessité d’envoyer leurs enfants dans une école catholique, où l’enseignement sera tout imprégné d’idées ou de croyances qui leur sont suspectes ou odieuses. Il y a de ces dissidents dans presque toutes les communes. Sont-ils peu ou beaucoup, ardents ou à demi indifférents ? Question secondaire. Le sujet est de ceux où le droit crie pour un seul citoyen violenté ou gêné dans ses convictions. Le principe de liberté est absolu. — Bien différent est l’ordre d’idées de l’homme d’État formé par l’histoire : le long passé de l’Église catholique, les prises qu’elle a sur les habitudes là même où elle n’en a plus guère sur les croyances, les revanches que peuvent lui réserver dans toute vie d’homme les chagrins et les mécomptes, son rôle modérateur au sein d’une démocratie qui veut jouir, — et, d’autre part, ses prétentions au gouvernement des intelligences, ses luttes contre les idées modernes, l’obscurantisme et l’intolérance dont ses actes ont été trop souvent entachés, tout cela lui est présent et il le pèse. Il ignore l’individu