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Page:Boutmy - Dictionnaire de l'argot des typographes, 1883.djvu/48

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LES TYPOGRAPHES. 35

cessaient d’échanger d’amères réflexions sur l’ennui que leur causait le travail quotidien, qu’ils trouvaient d’une monotonie insipide. « Pourquoi, se disaient-ils, nous fatiguer durant dix longues heures à disposer dans un ordre déterminé de petits morceaux d’un métal insalubre ? Les quelques misérables pièces d’argent que nous recevons en échange de tant de peines sont vite converties en grossiers aliments et en boissons frelatées. Décidément l’état de nature était préférable ! Du temps où notre grand-père Adam se promenait peu vêtu dans le paradis terrestre, quelques fruits lui suffisaient ; il se nourrissait d’herbes savoureuses et de racines succulentes ; une eau pure et limpide étanchait sa soif. Il coulait des jours heureux et tranquilles, sans se préoccuper du terme à payer, des vêtements à remplacer, du mastroc à satisfaire ; en un mot, aucun des vulgaires tracas de notre existence prétendue civilisée ne troublait sa quiétude. Revenons donc à l’innocence adamique et à la vie primitive. » Cela dit, nos deux philosophes quittent l’atelier et s’en vont… dans le bois de Clamart, où ils comptent fonder… un nouvel Éden. Pendant deux jours ils s’y nourrirent de baies sauvages et de l’herbe des champs et dormirent à l’abri des taillis. Au bout de ce temps, l’un d’eux faiblit et revint dans la grande Babylone ; l’autre persista plus longtemps ; il dut céder pourtant : malade et presque mort de faim, il s’avoua vaincu et reprit à regret ses occupations d’autrefois, désolé de n’avoir pu s’accoutumer au régime végétal. Il est connu actuellement dans les ateliers sous le surnom mérité de l’Herbivore.