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Page:Boutrais - La Grande Chartreuse (Nouvelle édition refondue et mise à jour), 1930.djvu/53

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XIe siècle. S. Bruno, fondateur.

ce moment, une dernière peine, plus sensible que toutes les autres, déchira son cœur : ses compagnons, heureux de vivre sous un tel père, comptaient pour rien et les austérités de la Règle et les rigueurs du climat, mais, en entendant que Bruno les quittait, ils lui déclarèrent aussitôt qu’ils ne pouvaient vivre sans lui[1]. Notre Saint essaya en vain de les faire changer de résolution ; malgré toute son éloquence et son autorité, il ne put rien obtenir : Si vous restez, nous restons, dirent-ils, si vous partez, nous partons[2]. Bruno n’insista pas. Ses disciples se dispersèrent en proie au plus profond découragement, et lui, le cœur brisé en voyant son œuvre anéantie, se dirigea bien triste vers l’Italie, tellement convaincu que son ermitage serait à jamais abandonné, qu’il se détourna de son chemin pour aller à la Chaise-Dieu donner à Seguin tout ce qui lui appartenait dans le désert de Chartreuse. Saint Hugues de Grenoble, l’ami des bons et des mauvais jours, l’accompagna en Auvergne. Les pensées de Dieu ne sont point celles des hommes : le Seigneur qui s’était choisi une demeure dans les montagnes de Chartreuse, allait ramener les solitaires dans leur maison déserte et bénir l’obéissance héroïque du nouvel Abraham qui sacrifiait tout sur un ordre du Vicaire de Jésus-Christ. Plusieurs des compagnons de Bruno s’attachèrent à ses pas, mais bientôt le bruit du monde devint insupportable aux anciens ermites

  1. Tracy, op. cit., p. 51.
  2. Si maneret manerent, si abiret abirent. Vie de saint Bruno, par Dom Blömenvenna ; ap. Acta SS., vi oct., no 512.