Page:Boutroux - Études d’histoire de la philosophie.djvu/225

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il bien vrai que Dieu est amour, comme l’enseigne le christianisme, que Dieu est tout-puissant, que rien n’a de réalité devant lui ? Telles sont sans doute, les questions que Boehme sentait poindre au fond de sa conscience. Le diable aurait bien voulu qu’il renonçât à pénétrer le mystère et s’endormit dans l’indifférence. Mais Boehme a pénétré ses desseins et a résolu de les déjouer.

Comment concilier la fin de l’activité humaine, si noblement conçue par les mystiques, avec la réalité des choses, si exactement constatée par le fondateur du protestantisme ? Comment, si l’homme et toute la nature sont radicalement révoltés contre Dieu, maintenir la possibilité de la naissance de Dieu au sein de l’âme humaine ? Si l’homme, semblable à un arbre pourri, ne peut vouloir et faire que le mal 1, il n’y a pas de milieu, semble-t-il, entre abandonner cet arbre à sa pourriture, et le déraciner et jeter au feu. Si la nature est en opposition absolue avec Dieu, ou Dieu ne peut rien sur elle, ou il doit la détruire.

Maintenir l’idéal spiritualiste et optimiste des mystiques, tout en envisageant la nature au point de vue pessimiste de Luther et, plus généralement, à un point de vue réaliste : telle est la tâche que Boehme s’est imposée. Cette tâche se détermine dans son esprit de la manière suivante. Tandis que, pour les mystiques, il