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LA PHILOSOPHIE ÉCOSSAISE ET LA PHILOSOPHIE FRANÇAISE 417

notre esprit à nos diverses manières de sentir. D’elle-même donc, l’idéologie française tendait à s’élargir et à se transformer, par la réintégration d’éléments essentiellement actifs et rationnels dans la constitution de l’esprit humain.

Dans le même temps, la société, attentive au rapport des idées aux faits, se préoccupait des conséquences pratiques du condillacisme. Certes, le perfectionnement moral avait été la préoccupation constante des idéologues. Mais ces philosophes attendaient ce perfectionnement de l’application pure et simple d’une science toute physique dans ses principes. Or, on se demandait maintenant si vraiment, par cette voie, il était possible d’aboutir à la morale de la tradition et de la conscience, à la morale, au sens vulgaire du mot. On rendait la méthode condillacienne responsable de l’explosion de matérialisme pratique qui s’était produite au xviiie siècle. On en venait à juger la morale compromise si elle n’était pas mise à part, comme possédant ses principes à elle, indépendants des principes de la spéculation. C’était l’heure où Chateaubriand démontrait l’excellence de la religion chrétienne par son accord avec les désirs et les besoins du cœur humain. Plus explicite, Mme  de Staël s’élevait contre la souveraineté du raisonnement, du calcul, de la froide logique, et exaltait le sentiment, l’enthousiasme, seule source, disait-elle, des vraies idées morales. Et elle aboutissait, non seulement à réclamer pour la morale des principes propres et indé-