Page:Boutroux - De l’idee de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines.djvu/136

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gralement [131] quand il s’agit de l’homme ? Est-il juste de dire que la diversité des fonctions est toujours un principe de tolérance mutuelle ? Considérons le capital et le travail : la différence qui les sépare ne les empêche pas de se combattre. Souvent la diversité d’éducation et d’occupations porte les hommes à se méconnaître et à se dédaigner. Il ne suffit pas, pour s’entendre, de ne pouvoir se comprendre.

Admettons toutefois que la division du travail soit une solution de la lutte pour la vie. En quel sens cet antécédent déterminera-t-il ce conséquent ? Y a-t-il là un rapport de nécessité semblable à celui qui lie l’attraction des corps à leur masse et à leur distance ? La division du travail apparaît comme nécessaire pour que les hommes vivent. Mais, ici, nécessaire veut dire indispensable, c’est-à-dire condition de réalisation d’une certaine fin, qui est la cessation de la lutte pour la vie. Ce n’est point là une nécessité mécanique et fatale. Faut-il même traduire ici nécessaire par indispensable ? La lutte pour la vie comporte d’autres solutions, parmi lesquelles la plus simple est l’entre-mangement. C’est là vraiment la loi de nature, et la division du travail est précisément destinée à entraver l’accomplissement de cette loi. Indispensable, à son tour, veut donc être traduit par préférable, c’est-à-dire plus conforme à l’humanité, répondant mieux à cette sympathie pour les faibles que l’on suppose exister en l’homme. Comme le disait Aristote, nous ne voulons pas seulement zÁn, mais eâ zÁn. La division du travail est un moyen plus ou moins intelligemment imaginé pour réaliser cet idéal. Qu’est-ce à dire, sinon que ce qu’on prenait pour une loi de causalité enveloppe un rapport de finalité, et que l’on suppose l’intelligence et la volonté humaines, [132]