Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/204

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cherché à fonder le système des Mathématiques sur des données expérimentales. C’est qu’en effet, si ces doctrines ont joué un rôle capital dans le développement des idées philosophiques, elles ne paraissent pas avoir influencé d’une manière appréciable la pensée des mathématiciens. Les fondateurs de la science grecque étaient aussi éloignés que possible de l’empirisme. Descartes, Leibniz, y étaient également opposés. Les purs algébristes, d’autre part, devaient, s’ils restaient fidèles aux principes de leur art, se désintéresser de la nature des éléments qu’ils combinaient, en sorte qu’ils n’avaient pas à prendre parti entre l’empirisme et les doctrines contraires. Lorsqu’enfin, vers la fin du xixe siècle, certains mathématiciens à tendances philosophiques cherchèrent à traiter d’un point de vue scientifique rigoureux la question de l’origine des notions mathématiques, ce fut pour réfuter — définitivement semble-t-il — la doctrine des empiristes.

Nous n’avons pas besoin de reproduire ici les arguments que l’on a fait valoir contre cette doctrine, arguments auxquels les mathématiciens de notre temps ont presque unanimement adhéré. On les trouvera exposés notamment dans les ouvrages philosophiques d’Henri Poincaré. Nous considérerons donc comme admis que les notions mathématiques ne sont pas empruntées au monde sensible où elles ne se trouvent jamais qu’imparfaitement réalisées ; elles ne sont pas non plus un produit de l’abstraction, car elles sont exemptes de tous les caractères sensibles dont est formée notre perception des objets réels ; enfin les propositions des mathématiques ne sauraient être regardées comme objectives au sens empirique du mot, car aucune expérience physique ne pourra jamais démontrer la vérité ou la fausseté de leurs postulats.