Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/206

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pour objet d’atteindre je ne sais quelle nécessité extérieure qui se cacherait toute constituée dans le réel ; sa mission est de fabriquer la vérité même qu’elle recherche ». En ce qui concerne, spécialement, le fait mathématique, il est[1] une « résultante inévitable des postulats antérieurement admis dans le discours ; il revêt une apparence d’extériorité quand les postulats qui le déterminent ne sont pas explicitement dégagés ». « Ce qu’il y a au fond d’un fait mathématique, c’est l’activité régulière de l’esprit autant que celui-ci travaille à l’établissement du discours ».

Prise à la lettre, cette thèse serait, sous une forme particulièrement explicite et catégorique, celle même qui résulte de la conception algébrico-synthétique de la science à laquelle nous nous sommes attachés plus haut. Il n’y a dans les raisonnements des savants, il n’y a dans les faits sur lesquels portent ces raisonnements, qu’une combinaison artificielle d’éléments façonnés par notre esprit. La science est entièrement l’œuvre de l’homme, ce qui permet de donner de la genèse des théories une explication pragmatique beaucoup plus absolue que celle dont Henri Poincaré s’était fait l’interprète. Le fait scientifique — écrit M. Le Roy[2] — « n’est pas la réalité telle qu’elle apparaîtrait à une intuition immédiate, mais une adaptation du réel aux intérêts de la pratique et aux exigences de la vie sociale ».

Doctrine parfaitement cohérente, et d’où l’on tire une définition très nette de la science dont se contenteront de nombreux savants. Mais le sort de cette doctrine est lié, si nous ne nous trompons pas, à celui des conceptions et des vues scientifiques dont nous avons, dans un pré-

  1. Revue de métaphysique, 1900, p. 45.
  2. Art. cité, Revue de Métaphysique, 1899, p. 379.