Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/210

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phique qu’il appartient de la dégager. Or, lorsque nous observons de près les conditions dans lesquelles travaillent les mathématiciens modernes, nous sommes conduits, semble-t-il, à une conclusion différente. En effet, cette lutte de l’esprit avec une matière rebelle, que décrit M. Le Roy après M. Bergson, elle se manifeste, non seulement dans l’exercice de la connaissance philosophique, mais au sein même des mathématiques pures. Il en est de la distinction posée par M. Le Roy comme de la séparation que l’opinion commune — en simplifiant outre-mesure l’idée de Pascal — a coutume d’établir entre l’esprit de finesse et l’esprit géométrique. La séparation existe incontestablement, mais elle n’est pas entre la science mathématique et un autre domaine ; elle est entre deux aspects de notre pensée qui se rencontrent dans presque tous nos actes intellectuels ; en mathématiques déjà, comme on l’a bien souvent fait observer, l’esprit de finesse joue un rôle considérable. Semblablement, certains mathématiciens ne pensent pas qu’il y ait entre la pensée mathématique et la pensée vivante ou philosophique une différence aussi radicale que ne l’ont dit M. Bergson ou certains disciples de M. Bergson. C’est en ce sens qu’il faut interpréter les doutes ou malentendus qu’a fait naître dans l’esprit de certains analystes, la théorie de la science proposée par l’ « Évolution créatrice[1] ».

Pour approfondir les notions mathématiques, comme pour étudier les problèmes de la vie, il faut que l’esprit « se violente » ; il faut qu’il fasse, bon gré mal gré, entrer dans un moule, qui n’est pas fait pour la recevoir,

  1. Cf. É Borel, L’évolution de l’intelligence géométrique, apud Revue de Métaphysique, 1907, p. 747 et suiv. Discussion : Revue de Métaphysique, 1908, p. 28 et p. 246.