Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/234

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de combat. L’importance qui lui a été donnée est accidentelle et tient aux circonstances qui l’ont vue naître. Les mathématiciens, sentant la nécessité de réagir contre le formalisme de l’arithmétique et de la logique, ont cherché un refuge dans une nouvelle forme de l’empirisme, l’ « empirisme intuitioniste ». S’appliquant, cependant à dégager le sens que les mathématiciens modernes attachent à l’idée d’intuition, M. Brunschvicg trouve que, sous ce nom, on ne comprend pas autre chose que « le travail profond de l’intelligence ». Mais, dit-il, par suite des circonstances, on s’est trouvé établir entre l’intelligence et l’intuition une opposition de nature qui n’est en réalité pas fondée. On a été frappé de la différence qu’il y a en mathématiques entre l’ordre de l’invention et l’ordre de la déduction logique, et l’on a conclu de là que l’intuition et l’intelligence déductive marchent dans des sens opposés. Pontant, dit M. Brunschvicg, « si la mathématique intervertit le sens de la déduction spécifiquement logique, devra-t-on répéter encore qu’elle invertit le travail naturel, normal de l’esprit ? ou ne s’oppose-t-elle pas plutôt à une première inversion, dictée par les besoins de la pédagogie, beaucoup plutôt que par les exigences de la philosophie, et qui a eu pour effet déjà de renverser l’ordre naturel de la pensée ? ne marque-t-elle pas un retour aux démarches de l’intelligence humaine ? » À ces questions M. Brunschvicg répond plus loin[1] : « La philosophie mathématique a, jusqu’ici, manqué le problème de la vérité. En supposant une inversion de sens entre l’ordre psychologique de l’invention et l’ordre logique de l’exposition, elle admettait implicitement que le souci de la rigueur dans le raisonnement est étranger à l’in-

  1. Loc. cit., p. 500.