Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/236

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l’ordre logique doit être distingué de l’ordre pédagogique. Mais que, moyennant cette distinction, l’on puisse faire cesser toute discordance entre l’intuition et la logique, c’est ce qu’il ne nous paraît pas possible de soutenir.

La nécessite de découper dans le champ de l’intuition mathématique une chaîne de propositions se déduisant logiquement les unes des autres, — l’obligation où nous sommes de faire de longs détours, d’user de ruses et de moyens de fortune pour arriver à démontrer péniblement des résultats qui, pour un esprit capable d’avoir une vue d’ensemble sur la science, domineraient évidemment les prémisses d’où nous les tirons au lieu d’être conditionnés par elles, — l’idée même d’un ordre introduit dans les vérités scientifiques, toutes ces conditions, tous ces concomitants de la démonstration logique nous paraissent être autant de contraintes, autant de digues, qui contrarient le flot de l’intuition ; nous ne pouvons, semble-t-il, nous rendre maîtres de ce flot qu’en l’appauvrissant et en le canalisant. Que l’idée d’intuition pure, séparée du raisonnement logique, soulève des difficultés, cela est indéniable, et il serait fort souhaitable de pouvoir supprimer ces difficultés en en extirpant la racine. Mais la distinction de tendances opposées, dans l’œuvre mathématique, nous paraît devoir être maintenue sous une forme ou sous une autre ; et nous ne saurions croire qu’elle a été uniquement imaginée pour les besoins de la discussion engagée par les logisticiens.

M. Brunschvicg répondra sans doute qu’au sein même de l’intelligence il admet bien le dualisme auquel nous faisons allusion. Cependant nous croyons que son argumentation tend, qu’il le veuille ou non, à atténuer ce dualisme. Recherchant les « racines de la vérité géométrique », M. Brunschvicg est conduit à souligner l’ « adaptation réciproque de l’expérience et de la