Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/273

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la science pourvu qu’on leur fasse comprendre ce que c’est qu’une démonstration et qu’on les habitue à n’avancer aucune vérité qu’ils ne soient capables de prouver. Cette conception a eu, en France, d’autant plus de succès qu’elle se trouvait conforme aux principes adoptés, dans divers ordres d’enseignement littéraire, par des pédagogues éminents. On mettait, vers l’année 1900, les questions de « méthode » au-dessus de toutes les autres, et l’on s’imaginait par là faire preuve d’ « esprit scientifique ». Et en effet, s’il était vrai que la science pure, celle qui n’est pas encore mêlée d’éléments étrangers, n’est qu’une forme, indépendante du contenu auquel on l’applique, il s’ensuivrait qu’il est parfaitement inutile de donner à l’enfant des connaissances positives ; amasser des faits est une tâche inintelligente dont la vie saura fort bien s’acquitter ; ce qui importe, ce qui constitue la véritable mission du maître, c’est de développer chez l’élève le sens de la méthode, c’est de faire l’éducation des facultés formelles qui préexistent dans son entendement.

Depuis quelques années, cependant, on a reconnu les inconvénients que présente — dans l’enseignement mathématique tout au moins — l’adoption d’un point de vue aussi absolu. Non seulement, en faisant dominer des préoccupations purement logiques, on a rebuté et éloigné des Mathématiques d’excellents esprits ; mais, faute de s’intéresser à la matière de la science, on a négligé de donner aux jeunes gens les connaissances objectives qui pouvaient un jour leur être utiles.

Une réaction devait donc se produire, et elle se manifesta tout d’abord dans le camp des savants et des professeurs qui cherchent à orienter la spéculation mathématique vers les applications concrètes. Ces maîtres se plaignirent, avec raison, que l’on creusât un fossé artificiel