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scholie ancien[1], une légende symbolique rapportait que l’auteur de la théorie des incommensurables fut englouti dans un naufrage. C’est ainsi que le ciel punit celui qui avait « exprimé l’inexprimable, représenté l’infigurable, dévoilé ce qui eût dû rester toujours caché. »

La préoccupation esthétique pourrait, croyons-nous, être retrouvée derrière toutes les découvertes de la science grecque ; mais elle s’est manifestée d’une manière, particulièrement sensible dans le domaine de la géométrie qualitative pure, géométrie qui étudie la forme des figures indépendamment de toute considération de grandeur ou de nombre ; et c’est là que nous apercevrons le mieux l’influence restrictive et limitative que cette préoccupation devait nécessairement exercer dans le développement de la science.

Entre les différents types de figures auxquels peuvent donner naissance les lignes ou corps géométriques élémentaires, les Grecs établissent une hiérarchie, certains types de figures étant regardés par eux comme plus beaux que d’autres. De là résulte une hiérarchie correspondante des différentes parties de la Géométrie, car l’étude d’un type de figure est d’autant plus désirable que ce type est plus relevé. C’est ainsi que les Platoniciens sont amenés à placer au faîte de la Géométrie, comme étant le couronnement de cette science et le but vers lequel doivent converger nos recherches, une théorie qui nous paraît aujourd’hui extrêmement spéciale et qui, en tout cas, ne pouvait conduire qu’à une impasse : la théorie des polyèdres réguliers.

Dans un passage bien connu du Timée, en un langage obscur et énigmatique, Platon a proclamé l’éclatante

  1. Cf. Cantor, Vorlesungen über Geschichte der Mathematik, 2e éd., t. I, p. 171.