Page:Boutroux - La Monadologie.djvu/164

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posé, l’immatériel et à Dieu même ; en concevant que ce qui est borné en nous, est en lui sans bornes. Et ces

    textes ? Doit-on voir entre eux une contradiction, le premier faisant dépendre, à la manière cartésienne, la conscience de la raison, tandis que le second ferait dépendre la raison de la conscience, ainsi qu’il arrivera plus tard chez Maine de Biran ? Leibnitz n’a dit nulle part que nous saisissions notre moi immédiatement, sans le secours des vérités nécessaires. Il n’a pas non plus distingué la conscience de la raison avec la rigueur que l’on rencontre chez les philosophes postérieurs. Sa pensée est la suivante. Au fond de tous les êtres se trouve l’être même de Dieu ; et les créatures ne diffèrent du Créateur que par l’impossibilité où elles sont de développer à l’infini les puissances qu’elles portent en elles. Tandis que, pour Descartes, l’entendement humain renfermé dans le monde des vérités librement créées par Dieu diffère radicalement de l’entendement divin, c’est un seul et même entendement, une seule et même essence qui, chez Leibnitz, constitue l’être de Dieu et l’être des créatures : la différence ne porte que sur le degré du développement. Or le développement de l’être dans les créatures est soumis à des lois que Leibnitz a déterminées nettement. D’abord apparaissent la perception et l’appétition pures et simples, puis la perception et l’appétition accompagnées de mémoire, c’est-à-dire le sentiment, puis enfin le sentiment accompagné de raison, c’est-à-dire de la connaissance des vérités éternelles et nécessaires. Ces vérités sont des règles dont l’emploi nous permet de distinguer, au sein de nos perceptions, des détails qui, pour l’âme simplement douée de perception et même de sentiment, demeuraient insaisissables. Par exemple, pour le sens, le bruit de la mer est un ; pour la raison, il est multiple. Ce progrès dans la perception des différences détermine dans l’âme la réflexion, c’est-à-dire le retour de l’être vers sa source, qui est Dieu. Dans cette voie de retour, nous rencontrons tout d’abord le moi, ou l’être qui est en nous, en tant que borné et distinct des autres êtres, puis l’être, la substance et l’immatériel, de plus en plus voisins de l’essence divine elle-même. Et finalement nous atteignons, par la perception devenue ainsi réfléchie et consciente, l’être infini que, dès l’origine, les créatures cherchaient confusément et à leur insu. Alors le cercle se referme pour ainsi dire : la créature s’est identifiée avec le Créateur autant qu’il est en elle ; le fini a fait tout ce que comportait sa nature pour reproduire l’infini. La considération du moi est donc, chez Leibnitz, comme un degré intermédiaire entre ce qu’on pourrait appeler la raison abstraite et la raison concrète, entre la simple conception des vérités nécessaires, et l’appréhension aussi directe que possible de l’être et de