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Page:Boutroux - Les principes de l’analyse mathématique.djvu/191

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après que nous sommes partis d’une notion de grandeur qui se confond avec celle de longueur ou de rapport de longueur (Chap. ii, §§ 1, 3). Nous verrons d’ailleurs que l’algèbre resta longtemps tributaire de la construction géométrique, si bien qu’on en est encore à se demander si dans l’ouvrage intitulé La Géométrie[1], Descartes a eu pour objet principal les progrès de la science du calcul ou ceux de la science des figures.

Cette dernière, aussi bien, reléguée naguère au second plan, par suite du développement triomphant de l’Analyse, a repris depuis un siècle une grande importance. Elle est et restera la plus belle illustration des spéculations mathématiques et le point de rencontre des diverses méthodes qui leur sont propres. C’est pourquoi, dans un livre où nous cherchons à mettre en lumière les principes de l’Analyse, nous ne pouvons passer sous silence les propriétés fondamentales des figures géométriques.

165. Figures géométriques et figures concrètes. – En quel sens la géométrie rationnelle étudie-t-elle les figures ? Question d’ordre philosophique que nous n’entreprendrons pas de traiter ici. Les triangles, les cercles, les ellipses sur lesquels raisonnent les géomètres ne sont point ceux que réalise la nature et que nos sens nous font percevoir. Il n’y a pas, en effet, de triangle matériel qui soit rigoureusement un triangle, c’est-à-dire qui n’ait point d’épaisseur (pas de volume), qui soit parfaitement plan (non gondolé), dont les côtés soient vraiment droits (non tordus).

Pourra-t-on, du moins, vérifier par une expérience indirecte les propriétés que les géomètres attribuent au triangle ? Non pas mème, car toute expérience est, en dernière analyse, une mesure, et aucune mesure n’est absolument parfaite (cf. no 58). Ainsi l’on peut, au moyen d’observations astronomiques minutieuses, évaluer avec une grande précision les angles d’un triangle dont les sommets sont des étoiles on des points terrestres définis par des signaux lumineux ; mais ce serait un merveilleux hasard que la somme des angles ainsi calculée fit rigoureusement égale à deux angles droits comme le veut le théorème

  1. Vide infra, Deux. liv., ch. iv, § 3.