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Page:Boutroux - Les principes de l’analyse mathématique.djvu/192

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du no 170[1]. En serrant la question de plus près, on constate qu’aucune des propriétés (homogénéité, isotropisme[2], etc. attribuées à l’espace par le géomètre n’appartient à l’espace sensible. Il faut conclure de là que le géomètre raisonne sur un espace idéal, sur des figures idéales[3]. Ces figures, où sont-elles, d’où les tirons-nous ? Elles nous sont, — disaient les géomètres grecs et répétait après eux, Descartes, — révélées par l’intuition (cf. no 1. et nos 52 et suiv.). Grâce à cette faculté mystérieuse, les propriétés des figures géométriques nous apparaissent en bloc dans leur entrelacement harmonieux ; nous n’avons, pour composer la géométrie, qu’à détailler ce que nous voyons dans l’ordre que nous tenons pour le plus simple et le plus clair.

186. Faits géométriques et théorèmes. – Pour exposer sous forme didactique[4] les vérités de la géométrie, nous les traduisons en propositions (théorèmes) que nous cherchons à démon-

  1. On ne peut donc pas contrôler expérimentalement ce théorème Remarquons d’ailleurs que pour l’astronome le côté d’un triangle est un rayon lumineux. Or quelle expérience peut prouver que la direction de la lumière est bien en effet une ligne droite au sens de la géométrie rationnelle ? . – Cf. Deux. Liv., ch. v, § 9.
  2. L’espace géométrique est dit homogène parce que tous ses points sont identiques entre eux, isotrope parco que toutes les droites qui passent par un même point sont identiques entre elles. Or il est clair que, par rapport à nos sens, les points de l’espace, ou les droites qui passent par un même point, ne jouent pas toutes le même rôle. L’espace que nous percevons n’est pas non plus infini, et nous ne pouvons pas même vérifler expérimentalement qu’il a trois dimensions cf. H. Poincaré, La science et l’hypothèse, ch. iv).
  3. Cependant, pour faciliter le raisonnement abstrait et pour soulager notre mémoire, nous pourrons nous aider de figures réelles et, par exemple, de schémas tracés au tableau noir ou sur une feuille de papier. Telles sont les « figures » qui illustrent les traités de géométrie [nous n’oublierons pas que le mot « figure » pris dans cette acception désigne tout autre chose que la figure théorique, objet des spéculations du géomètre].
  4. Les premiers géomètres de la Grèce n’enseignaient peut-être point leur science sous forme didactique : les propriétés des figures étaient pour eux des secrets auxquels ils initiaient un petit nombre de disciples. Nous trouvons chez Jamblique (De pythagorica vita, 88), le renseignement suivant, d’ailleurs sujet à caution : « Voici comment les Pythagoriciens disent que la géométrie fut rendue publique : l’argent des Pythagoriciens fut perdu par l’un d’eux : à la suite de ce malheur on lui accorda de battre monnaie avec la Géométrie, » Voir P. Tannery, La géométrie grecque, p. 81).