Aller au contenu

Page:Boutroux - Notice sur Paul Janet.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 8 —

formes sur le vif, à Stephansfeld, situé à quelques lieues de Strasbourg, et publia le résultat de ses observations dans la Revue des Deux-Mondes.

Il était grand ami de la promenade philosophique. Il y conversait, comme les anciens, d’une manière très libre et familière, mais solide et instructive. Ou bien il lisait et méditait dans la solitude. Plus d’une leçon sur la famille a été élaborée sous les charmants ombrages des jardins de l’Hôtel de la Poste, déserts pendant la semaine.

Et il s’attachait à l’Alsace, à ce beau pays si riant et si sain, à ce précieux coin de France, où la générosité nationale se mélangeait d’une raison calme et d’une constance inébranlable, et où les savants, alors, pouvaient se vouer à la noble tâche de servir de trait d’union entre la France et l’Allemagne.

Mais nos Facultés de province, quelque vie qu’y infusât par intervalles la parole d’un Bautain, d’un Ferrari ou d’un Paul Janet, peu organisées, à cette époque, comme centres scientifiques, ne pouvaient donner qu’une satisfaction incomplète à un homme avide d’une action étendue sur la jeunesse du pays. C’est pourquoi Janet, en 1856, quitta, en dépit des liens étroits qui l’y attachaient, la Faculté de Strasbourg, pour la chaire de logique du Lycée Louis-le-Grand.

Avec sa maturité précoce et sa verve juvénile, il y fut un professeur incomparable. En un temps peu propice à la libre et haute spéculation, il sut intéresser tous ses élèves, les derniers comme les premiers, à un enseignement grave et solide. Il leur donnait un exemple de méthode, de conscience, de probité intellectuelle et morale, dont ils ont tous gardé le plus vif et le plus reconnaissant souvenir. Aujourd’hui encore, ceux qui ont eu le bonheur de recevoir cet enseignement, se plaisent à rappeler la profonde et bienfaisante influence du maître qui leur disait, dans son discours de distribution des prix, à propos des couronnes qu’ils allaient recueillir : « Ce qui a le plus de prix, jeunes élèves, c’est une volonté honnête, appliquée, scrupuleuse, qui ne discute pas le devoir, qui, sans dédaigner la récompense, recherche surtout l’estime et l’approbation. »

Cependant la réputation du philosophe et de l’écrivain grandissait rapidement. Élargi, et publié sous le titre d’Histoire de la Philosophie morale et politique (1859), l’ouvrage jadis couronné par l’Académie des sciences morales et politiques, l’était maintenant par l’Académie française. La même Académie couronnait, en 1863, un très beau livre, digne pendant de la Famille, sur la Philosophie du Bonheur.

En 1863 également paraissait une très lucide et substantielle étude sur le Matérialisme contemporain, qui n’allait pas tarder à être traduite en allemand, en anglais, en hollandais, en polonais. Une si féconde et utile activité désignait M. Janet pour la Sorbonne et pour l’Institut. Il fut nommé en 1864 professeur d’histoire de la philosophie en remplacement de Saisset ; et, cette même année, il devint membre de l’Académie des sciences morales et politiques. Il avait quarante et un ans. Sa destinée était désormais fixée. Les seuls changements que le temps devait apporter à sa situation furent la transformation de sa chaire en chaire d’histoire de la philosophie moderne (1879), et son transfert dans la chaire de philosophie, après la mort de son regretté collègue Caro en 1887.

Rarement homme fut à sa place autant que M. Janet dans sa chaire de la Sorbonne. À peine avait-il ouvert la bouche, qu’on se sentait captivé par l’air de sincérité, de naturel, de droiture en même temps que de vivacité intel-