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mêmes, M. Janet s’efforça de faire avancer le spiritualisme biranien, dans lequel il voyait le fondement de la philosophie définitive.

Dès 1868, il exposait, en de belles leçons faites à la Sorbonne et reproduites en partie dans les Problèmes du XIXe siècle (1872), comment dans la conscience elle-même, méthodiquement approfondie, on découvrait cette liaison du phénomène a l’être, du moi aux choses extérieures, du relatif à l’absolu, que, d’une manière générale, on avait cherché vainement, soit dans un raisonnement logique, soit dans une intuition mystique. Il établissait ainsi, sur de solides fondements, la réalité de l’âme, du monde et de Dieu.

Puis, non content de reprendre, dans Le Cerveau et la pensée (1867), sa réfutation du matérialisme fondée sur l’originalité irréductible de l’être qui existe pour soi, il traitait, suivant sa méthode, l’importante question des Causes finales (1876). On l’y voyait incorporer habilement à la doctrine classique la finalité immanente des métaphysiciens allemands. D’autre part, il maintenait nettement la nature consciente du premier être. Et ainsi, son spiritualisme s’élargissait, et s’assimilait certaines parties du panthéisme, sans que le principe en fût modifié.

Il en était de même dans l’ordre pratique. Son traité de Morale (1874) reste foncièrement rationaliste. Le bien, défini par le concept de la perfection humaine, est le principe auquel il s’arrête. Mais avec ce principe il sait concilier la doctrine kantienne de l’obligation proprement dite, étendue aux degrés même les plus élevés du bien, c’est-à-dire le dévouement envisagé comme devoir véritable, et non pas seulement comme luxe de la vie morale. Il sait aussi, d’un point de vue tout philosophique, relier intimement la morale et la religion, comme à cette conscience de l’éternel et de l’infini, qui est au fond de nous même, et qui nous commande de franchir les bornes de notre personnalité égoïste.

Toujours plus nettement, M. Janet s’éleva de la conscience comme individualité existant pour soi, à la conscience comme participation à l’impersonnel et à l’absolu. Son dernier grand ouvrage, intitulé Principes de métaphysique et de psychologie, résumé lumineux de ses principales doctrines, aboutit à des pensées telles que celles-ci : La personnalité doit-elle se confondre avec l’individualité ? Non : un animal est un individu, mais il n’est pas une personne. La personnalité commence avec la conception de l’impersonnel. L’homme est sacré pour l’homme : or, n’est-ce pas la participation à l’absolu, à l’infini, au divin, qui seule peut rendre un être sacré ?

Et sa philosophie, toujours plus libérale, accueillait avec faveur les efforts les plus variés des contemporains pour ouvrir des voies nouvelles.

Dans son livre sur la Philosophie française contemporaine, nous le voyons applaudir au rapprochement de la philosophie et des sciences, que lui-même appelait déjà dans la préface de son livre sur la famille en 1857 ; au développement de la psychologie expérimentale ; au réveil de la spéculation métaphysique ; aux études sociales et politiques, conçues dans un esprit de plus en plus scientifique. Il ne mettait à cet élargissement de la philosophie qu’une condition, c’était qu’elle conservât son originalité et son autonomie, et qu’elle s’enrichît sans cesser d’être elle-même. Elle ne devait être la servante de personne, pas plus de la science que de la théologie.

De cette riche moisson d’idées, M. Janet n’a cessé de faire profiter l’ensei-