Page:Boutroux - Pascal.djvu/163

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Il ne peut être question de tracer un plan des Pensées, ni même de l’ouvrage en vue duquel elles ont été jetées sur le papier. Mais nous sommes en droit d’interroger ces fragmenta sur le dessein qu’avait formé Pascal, et sur le travail intérieur qu’il voulait provoquer dans l’âme de son lecteur. Nous sommes guidés, à cet égard, dans une certaine mesure, par les souvenirs que nous ont transmis Étienne Périer, Filleau de la Chaise et Mme Périer touchant la conférence où lui-même développa ses idées, vers 1658.

Pascal ne se proposait pas de démontrer les vérités de la religion comme on démontre celles de la géométrie, d’une manière purement abstraite. Son intention était de ne rien dire où l’homme ne se trouvât intéressé soit en sentant en lui-même tout ce qu’on lui faisait remarquer, soit en voyant clairement qu’il ne pouvait prendre un meilleur parti que celui qu’on lui proposait.

Il eut tout d’abord en vue des personnes déterminées : ceux qu’on appelait les libertins, ces hommes du monde qui, au nom d’une science mal comprise et d’une demi-philosophie, faisaient parade d’incrédulité. Il voyait le modèle du libertinage dans deux hommes qu’il avait bien connus, dont il avait jadis apprécié l’esprit Méré, qui prétendait, à l’égard de la religion, s’en tenir à l’honnêteté ; Miton, qui, tout en apercevant que la nature est corrompue, croyait pouvoir demeurer dans l’indifférence et l’incuriosité.

Pour atteindre le mal dans sa source, c’est aux idées de Montaigne qu’il fallait s’attaquer. Pascal le connaissait à fond. Il avait lu et relu cette étrange