Page:Boutroux - Pascal.djvu/176

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persiste à y croire. Et c’est le peuple qui a raison, mais non de la manière qu’il croit. Il croit que nos lois sont justes, et elles sont injustes : il juge indigne d’un homme de céder à la force, si cette force n’est en même temps la justice, et il fait bien. La justice, en ce monde, est invinciblement obscure et impuissante. Ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. On a sauvé le principe de la justice en lui donnant pour matière la force. Par là on obtient la paix, qui est le premier des biens. Mais quelle singulière condition que celle d’un être qui a besoin qu’on le trompe pour désirer ce qu’il veut, qui exige que le faux porte le masque du vrai, alors qu’il foule aux pieds le vrai lui-même !

Notre morale ressembla à notre droit. Rien de plus clair, à première vue, que les principes de la science des mœurs, tels que la notion du bien, du bonheur, de la fin de la vie humaine ; et quel n’est pas le ravissement de celui qui, s’étant attardé aux sciences abstraites, en vient à étudier les choses morales et l’art de bien vivre ! Cependant interrogez les hommes sur ce, qu’ils considèrent comme bon. Ils vous nommeront les astres, le ciel, la terre, les éléments, les choux, les poireaux, les veaux, les serpents, l’adultère, l’inceste, tout jusques au suicide. Quant aux moralistes de profession, ils se divisent en deux grandes sectes : les stoïques et les épicuriens. Les premiers nous ordonnent de nous égaler à Dieu, les seconds ne nous jugent bons qu’à vivre comme les bêtes.

Ici encore, confusion et contrariété. Les demi-