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Page:Bouvier - Les Mystères du confessionnal, 1875.djvu/128

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LE CONFESSIONNAL, FLÉAU DE L’ENFANCE, DE L’ADOLESCENCE
de la femme mariée, de la famille


« La confession, dit le cardinal Gousset dans sa Théologie morale, t. II p. 252, est obligatoire pour le fidèle qui a atteint l’âge de discrétion : Post quam ad annos discretionis pervenerit. » D’après le docte prélat, on doit attirer les enfants au tribunal de la pénitence, dès qu’ils savent discerner le bien d’avec le mal, ne serait-ce que pour leur apprendre à se confesser et leur faire contracter de bonne heure l’habitude de la confession. » Monseigneur Gousset, dans un autre passage du même ouvrage, ajoute ce commentaire : « C’est un abus que l’usage introduit en plusieurs endroits, d’attendre jusqu’à la première communion, pour absoudre des enfants qui ont commis certaines fautes plus ou moins graves. Selon ces principes, l’enfant, dès la septième année, communément regardée comme l’époque de l’éclosion de la raison, doit être envoyé au tribunal de la pénitence. Malgré la répulsion naturelle qu’inspire à l’enfant cet acte humiliant, il doit obéir à ses parents et aller au confessionnal s’agenouiller aux pieds du curé auquel il fera machinalement l’aveu de ses fautes. Après quoi il écoute son directeur et répond à ses interrogations. Mais qu’advient-il de cette pratique ? Le confesseur, même le plus expérimenté, ayant l’esprit faussé par l’étude des Diaconales, pose à son jeune pénitent des questions obscènes qui font naître en lui des idées qu’il n’aurait eues que bien plus tard et lui apprennent des choses qu’il eut ignorées peut-être toujours. Une longue expérience nous permet d’affirmer que, sur cent enfants envoyés au confessionnal, quatre-vingt-dix sont initiés à la science du mal et aux turpitudes par les directeurs spirituels.

La confession est funeste pour les adolescents, garçons ou filles, surtout pour les jeunes filles arrivées à l’âge de puberté. Dans ce moment de transition de l’enfance à l’adolescence, les parents redoublent de vigilance pour écarter de leur fille certains dangers : mais, cédant à de fatals préjugés, ils croient devoir confier la direction de cette jeune âme à un prêtre qu’ils supposent capable de la maintenir dans la bonne voie. Hélas ! ils conduisent leur fille à l’un de ces hommes en soutane ou à froc qui tient dans ses mains une puissance redoutable dont il va user pour séduire, pour corrompre. Le contact, le souffle même des hommes noirs est mortel pour la fleur délicate élevée à la ville, et pour le beau lys de nos vallées. Séduction ou corruption, l’œuvre infernale s’accomplira. La confession, fatale aux jeunes filles, n’a pas de meilleures conséquences pour les garçons ; indépendamment des habitudes honteuses d’onanisme dont elle est la cause déterminante, elle dégrade les caractères, elle habitue aux délations. C’est parmi les habitués du confessionnal que se recrutent toutes les polices. La bondieuserie engendre l’espionnage politique.

Pour la femme mariée, la fréquentation du tribunal de la pénitence a des effets désastreux. Michelet a tracé de main de maître le rôle du confesseur dans son livre « Du prêtre, de la femme et de la famille. » Il montre celui-ci arrivant par un travail incessant, une volonté ferme et la force de l’habitude, à faire de sa pénitente un être qui ne sent, ne pense, ne veut, ne vit et n’agit que pour lui.

« Le confesseur patient et rusé, qui, jour par jour, ôtant de la femme un peu du mari, substituant un peu de lui, a doucement subtilisé l’un, mis sa personnalité en son lieu. Les molles et faibles natures de femmes, presque aussi fluides que celle de l’enfant, se prêtent bien aisément à la transfusion. La même qui voit toujours le même prend, sans le savoir, son tour d’esprit, son accent, son langage, quelque chose de son allure et de sa physionomie. Il parle et elle parle ainsi ; il marche et ainsi elle marche. À la voir seulement passer, qui saurait voir, verrait qu’elle est lui. Mais ces conformités extérieures ne sont que de faibles signes du changement profond qui s’est fait au dedans. Ce qui s’est transformé c’est l’intime, et le plus intime. Un grand mystère s’est fait, ce que Dante appelle transhumanation, lorsqu’une personne humaine, fondant à son insu, a pris substance pour substance, une autre humanité : lorsque le supérieur, remplaçant l’inférieur, l’agent le patient, n’a plus même à le diriger, mais devient son être. Lui, il est, l’autre n’est pas, sinon comme un accident, une qualité de cet être, un pur phénomène, une ombre vaine, un rien…

On ne peut appeler cet état influence, domination, royauté ; c’est bien autre chose que royauté ; c’est divinité. C’est être le dieu d’un autre.

Le mariage est à deux, non pas à trois. Or, le confesseur y introduit la trinité. Il y est plus puissant que le mari. Par l’âme qu’il tient, il opère un mariage spirituel. On a tout quand on possède l’esprit. Permettre à sa femme de fréquenter le tribunal de la pénitence, c’est abdiquer, se donner un rival ou plutôt un maître, c’est surtout livrer la famille au clergé. Le directeur d’une femme sera, quand il le voudra, le chef du foyer domestique.

Le confesseur règne et gouverne. Guidé par un sentiment de curiosité, par un secret penchant pour la femme, par le désir d’être utile à l’Église ou de servir ses intérêts, en résumé poussé par l’ambition, la cupidité ou l’amour, peut-être par ces trois mobiles réunis, le prêtre s’est dit qu’il doit pénétrer sous le toit de la femme qui est à ses genoux au confessionnal. Comment procédera-t-il pour arriver à son but ? Aura-t-il même besoin de manifester ouvertement son désir ? Une simple insinuation suffira ; la pénitente comprend ses intentions et saisira le premier prétexte qui s’offrira à elle pour ouvrir la porte de la maison à deux battants devant le prêtre. Ce sera, par exemple, à l’occasion d’une quête, d’une œuvre de charité. D’ailleurs, « ce que femme veut, Dieu le veut ; » surtout quand la femme est doublée d’un confesseur.

Le jour de la visite est arrivé. Le prêtre se présente. Le terrain a été préparé. Sans l’avoir peut-être jamais vu, le maître de la maison connaît déjà le ministre des autels, et ne le connaît que par l’énu-