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Page:Bouvier - Les Mystères du confessionnal, 1875.djvu/132

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Llorente, dans son histoire de l’Inquisition, donne un aperçu des crimes et des mœurs dissolues qui régnaient parmi le clergé, et des turpitudes qui se commettaient dans le silence des couvents et autres retraites religieuses de l’Espagne. Nous reproduisons ses récits.

« Un capucin était le confesseur de toutes les religieuses réunies dans une communauté de la ville de Carthagène, au nombre de dix-sept ; il avait su leur inspirer une si grande confiance, qu’elles le regardaient comme un saint homme et comme un oracle du ciel. Lorsque le dévot personnage vit que sa réputation était suffisamment établie, il profita de ces fréquentes entrevues au confessionnal pour insinuer sa doctrine aux jeunes béguines. Voici le discours qu’il tint à chacune d’elles :

» Notre Seigneur Jésus-Christ a eu la bonté de se laisser voir à moi dans l’hostie consacrée au moment de l’élévation ; et il m’a dit : Presque toutes les âmes que tu diriges dans ce béguinage, me sont agréables, parce qu’elles ont un véritable amour pour la vertu, et qu’elles s’efforcent de marcher vers la perfection, mais surtout une telle — ici le directeur nommait celle à qui il parlait ; son âme est si parfaite qu’elle a déjà vaincu toutes ses affections terrestres, à l’exception d’une seule, la luxure, qui la tourmente beaucoup, parce que l’ennemi de la chair est très puissant sur elle à cause de sa jeunesse, de sa force et des grâces naturelles qui l’excitent vivement aux actes vénériens ; c’est pourquoi, afin de récompenser sa vertu, et pour qu’elle s’unisse parfaitement à mon amour et me serve avec une tranquillité dont elle ne jouit pas et qu’elle mérite cependant par ses vertus, je te charge de lui accorder en mon nom la dispense dont elle a besoin pour son repos, en lui disant qu’elle peut satisfaire ses appétits luxurieux, pourvu que ce soit expressément avec toi. Afin d’éviter tout scandale, elle gardera sur ce point le secret le plus rigoureux avec tout le monde sans en parler à personne, pas même à un autre confesseur, parce qu’elle ne péchera point avec la dispense du précepte que je lui accorde à cette condition ; elle pourra donc pratiquer le coït de toute façon, avec toi, pour la sainte fin de voir cesser toutes ses inquiétudes, et pour qu’elle fasse tous les jours de nouveaux progrès dans les voies de la sainteté. »

« Une de ces religieuses, âgée de vingt-cinq ans, étant tombée dangereusement malade, demanda un autre confesseur, et après lui avoir fait une révélation entière de ce qui s’était passé, elle s’engagea à tout déclarer au Saint-Office, excitée par la jalousie et soupçonnant que pareille chose était arrivée aux autres femmes de la communauté. Ayant ensuite recouvré la santé, elle alla se dénoncer à l’Inquisition, et raconta qu’elle avait eu pendant trois ans un commerce criminel avec son confesseur ; qu’elle n’avait jamais pu croire en son âme et conscience que la révélation qu’il lui avait faite fut véritable ; mais qu’elle avait fait semblant d’ajouter foi à ses discours, afin de pouvoir se livrer à ses désirs et satisfaire sa lubricité.

» L’Inquisition s’assura que ce commerce avait eu lieu avec douze autres béates de la même communauté. Il n’y avait que quatre de ces religieuses, l’une fort laide et trois d’un âge respectable qui n’eussent pas été déflorées par le confesseur de la sainte maison.

» On répartit toutes ces béguines dans plusieurs couvents ; mais on craignit de commettre une imprudence en faisant arrêter le confesseur et en le transférant dans les prisons secrètes.

» On en écrivit au conseil de la Suprême, et on obtint que le coupable serait envoyé à Madrid. Trois audiences ordinaires d’admonitions lui furent accordées : il répondit que sa conscience ne lui reprochait aucun crime sur ce qui regardait l’Inquisition, et qu’il était extrêmement surpris de se voir prisonnier.

» On lui fit sentir qu’il était incroyable que Jésus-Christ lui eût apparu dans l’hostie pour le dispenser d’un des premiers préceptes négatifs du Décalogue, qui oblige toujours et pour toujours. Il répondit qu’il en était aussi de même du cinquième, et que Dieu en avait cependant dispensé le patriarche Abraham, lorsqu’un ange lui commanda d’ôter la vie à son fils ; qu’il fallait en dire autant du septième, puisque Dieu avait permis aux Hébreux de dérober les effets les plus précieux des Égyptiens. On lui fit remarquer que, dans ces deux cas, il s’agissait de mystères favorables à la religion ; et il répliqua que, dans ce qui s’était passé entre lui et ses pénitentes, Dieu avait eu aussi le même dessein, c’est-à-dire, celui de tranquilliser la conscience de treize âmes vertueuses, et de les conduire à la parfaite union avec son essence divine. Un des interrogateurs lui ayant objecté qu’il était bien singulier qu’une aussi grande vertu se fût trouvée dans treize femmes jeunes et belles, et nullement dans les trois vieilles religieuses ni dans celle qui était laide ; il répondit encore, sans se déconcerter, par ce passage de l’Écriture Sainte : le Saint-Esprit souffle où il veut.

» Il ne restait plus au moine qu’une seule audience avant d’être condamné, et il persista d’abord dans ses premières déclarations. Cependant, comme il ne s’agissait de rien moins que d’être brûlé vif, il sollicita une nouvelle entrevue avec les inquisiteurs, et déclara d’abord qu’il était coupable de s’être aveuglé au point de regarder comme certaine l’apparition de Jésus-Christ dans l’Eucharistie, qui n’avait été qu’une illusion ; mais s’apercevant que les inquisiteurs n’étaient point ses dupes, et qu’ils étaient disposés à le sauver de la relaxation, s’il convenait de son hypocrisie et de ses crimes, il avoua tout et se soumit à toutes les pénitences qu’on lui imposerait.

» Les inquisiteurs firent prendre à cette affaire une tournure favorable à l’accusé, et le capucin, qui avait encouru la peine de mort comme sacrilège, hypocrite, luxurieux, séducteur et parjure, fut condamné seulement à faire abjuration de levi et à subir un emprisonnement de cinq années dans un couvent de son ordre.

— « Molinos, prêtre espagnol, qu’il ne faut pas