Page:Bove - Mes Amis.djvu/116

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pieds sur une marche avant d’avancer, comme quelqu’un qui a une jambe de bois.

Je tenais la rampe plate et mince et, pour retarder le suicide, je faisais semblant de craindre une chute.

Les doigts du marinier s’enfonçaient entre mon biceps et l’os. De temps en temps, pour me dégager, je levais le bras : c’était inutile.

Sur la berge, il y avait un tas de sable pointu, des outils de la ville de Paris, une guérite et une brouette enchaînée. Je vis le dessous obscur d’un pont et le toit des autobus qui passaient sur le quai. Des courants d’air me poussaient dans le dos.

— On meurt plus facilement à deux, observa mon voisin.

Sans aucun doute ce marinier avait décidé de se noyer. Il pensait que je le suivrais. J’aurais voulu qu’il continuât de le croire. On n’aime pas que les gens vous soupçonnent d’avoir peur de la mort.

Nous étions au bord de la Seine comme au bord d’un étang. Il n’y avait plus de parapet. Je me trouvais si près de ce fleuve que cela m’étonna. Qui aurait cru, à voir la Seine couler entre les maisons, sous les ponts de pierre, qu’on eût pu l’approcher à ce point.