Page:Bovet - Veuvage blanc, 1932.pdf/109

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
107
VEUVAGE BLANC

Un mois plus tard :

« Eh bien ! mon Claude, si, comme l’exige l’ordre des préséances, tu as ouvert avant la mienne la lettre de maman t’annonçant la grande nouvelle, es-tu tombé pile ou face ? Hein ! On ne s’y attendait guère à celle-là… « Pépin fils avulso non deficit Pépin père », a dit le juge de paix. Encore que ce propos fasse rire un peu aux dépens de notre sœur, je ne puis me défendre de le trouver plaisant. Combien vrai qu’il ne sied point de dire : fontaine… Julie, qui s’était tant apitoyée sur le mariage de Louise, épouse aujourd’hui un quinquagénaire en bonne marche vers son douzième lustre… Et cet estimable autant que bedonnant industriel ne possédant pas la prestance ni l’envergure d’un général de division, j’estime que la dizaine d’années de plus au profit, ou plutôt au désavantage de notre cousine, se trouve largement balancée.

« Au vrai, il y a des compensations. On s’enrichit plus dans les tissus ras qu’au service du pays. Julie va nous éblouir de son faste. « Elle sera une grosse dame », dit admirablement Clovis. Loin de moi la pensée de critiquer son choix, pas plus que je n’approuvais ses remarques au sujet de celui de Louise. Il ne faut point arranger le bonheur des gens à sa propre mode. Et puisque Julie a du goût pour l’argent, nous devons lui souhaiter joie de tout cœur. Nos parents, à qui importe peu le revers de la médaille, exultent, comme tu peux l’imaginer. Le seul point noir c’est Daisy. Elle ne se voit pas volontiers supplantée dans ses fonctions de châtelaine de Vorges, ce avec la circonstance aggravante, assez ironique, de l’amie d’hier devenant la belle-mère de demain. Aussi y a-t-il eu de ce chef quelques propos aigres-doux échangés, le vinaigre l’emportant sur le miel.