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VEUVAGE BLANC

« Nous voici donc débarrassés du Toulousain. Papa et maman en ont une souleur de cette histoire-là… Tu penses !… On s’explique à présent ses empressements subits. Bien que chez nous il n’y ait rien de riche, sinon les rimes d’Aurore, un peu d’argent liquide lui aurait tiré du pied une forte épine et ensuite, à la grâce de Dieu ou du diable, selon l’insouciance de ceux que papa nomme les amants de la dame de pique. Julie, qui décidément a de l’estomac, affecte une profonde indifférence pour l’incident. Mais j’ai tort de plaisanter, car elle l’a échappé belle, la pauvre.

« Remarques-tu, Claude, comme l’ex « petit bout » tourne au philosophe ? Cela vient de chez les Thierry. Je ne dis pas qu’on soit bête chez nous ; mais enfin je n’avais point encore eu pareil commerce d’esprit. Son privilège de femme mariée donne à Louise plus de liberté pour exprimer ses façons de voir, lesquelles sont tout à fait fines, avec leur petit grain caustique et lui, c’est la sagesse même, le jugement le plus sûr, le plus droit, sans que l’âge ni les chagrins l’aient rendu morose.

« La note burlesque qui se trouve en toutes choses est donnée par cet imbécile d’Achille qui voyant le terrain déblayé devant lui, fait plus que jamais à la fille de son patron des yeux de carpe frite. Un petit héritage vient de lui échoir et ce ne serait pas surprenant que quelque jour il rassemblât tout son courage ce qui n’est pas beaucoup dire… Mais en dépit de toutes ces fâcheuses aventures, papa ne voudra rien savoir, maman pas davantage, j’en suis bien certaine. Je te dirai au surplus que nous voyons très peu Julie. Pour bien marquer sans doute que nul dessein sur Eddy ne l’attirait à Vorges, elle y va plus que jamais, notamment tous les dimanches. La maison Sigebert se vide et maman ne sait plus que faire de son activité.