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VEUVAGE BLANC

déposer chez un confrère de Dijon, Quel voyage !… Il a passé quinze heures dans la guérite d’un garde-frein, assis sur sa précieuse valise, pendant trois jours ne s’est pas déshabillé, ni lavé, et a vécu de quelques croûtes de pain. Sa terreur était de ne pouvoir revenir à temps. Cela non pas seulement pour être auprès de nous — il avait parlé de nous faire partir… Ah ? il a été reçu… — mais aussi parce qu’il considérait comme son devoir de partager les souffrances et les périls de ses concitoyens. Il a rendu de très bons services aux réquisitions et au ravitaillement, non sans avoir été deux ou trois fois arrêté comme otage et menacé d’être envoyé en Allemagne. Je n’en dirai pas autant de certaines autorités qui avaient filé avec la vélocité du zèbre… Bah ! laissons cela. Les Boches ont reçu la pile, Metz et Strasbourg sont à nous, nos chevaux boivent dans le Rhin — ceci pris dans des stances : la Victoire, dont tu devines l’auteur. Enfin certain Claude Sigebert a rapporté ses deux bras, ses deux jambes, ses deux yeux, plus quelques glorieux trous à la peau placés de façon que demeurent intacts ses remarquables avantages extérieurs ; enfin un beau petit morceau de ruban rouge sur la poitrine, côté du cœur. Donc, tout est bien, tout est beau…

« Arrive-nous bien vite. Tu as le droit à ta permission, il me semble, et sans traîner. Je ne te dis pas qu’on tuera le veau gras et pour cause, attendu que, si, par impossible, on retrouvait un veau, il serait squelettique. Mais on fera ce qu’on pourra.

« P.-S. — Si tu pouvais apporter quelques ronds de saucisson, on s’en ferait du bien ».

Claude annonça son arrivée. L’agitation de Mme Sigebert eût risqué de jeter dans la maison quelque désordre, si n’y avait pourvu l’activité mieux réglée