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VEUVAGE BLANC

de l’imperturbable Fédora et du flegmatique Clovis qui, simple R. A. T., avait gardé les voies du côté de Vesoul. Revenu dès que les routes avaient été ouvertes, sa femme l’avait accueilli par un calme : « Comment vas-tu ? » auquel il avait répondu non moins simplement : « Très bien. Et toi ? » Après quoi, empoignant son balai et son plumeau, il avait commencé à faire son service.

Claude arriva. Si ce ne fut pas grande chère, ce fut grande liesse. On s’embrassa beaucoup, on pleura un peu. Afin que fût complète la réunion familiale, Julie Pépin était venue avec son mari de Soissons, où l’usine n’avait pas trop souffert des bombardements. Ils amenaient, pour le présenter à l’oncle d’outre-mer, un marmot dont tirait grand orgueil le fabricant de tissus ras. Ce haut fait, source d’infiniment de déplaisir pour Nelly et Daisy, avait inspiré à la féconde muse de Bruyères une pièce dans la manière de Victor Hugo, rapprochement romantique entre la tête blonde et la tête grise, médiocrement agréable au beau-frère d’Aurore.

Louise Thierry, cela allait de soi, avait sa place marquée à la table de famille le soir même où arriva le cher soldat. Le temps écoulé n’avait pas pesé une once sur la tête fine aux clairs yeux de pervenche, aux cheveux d’un blond léger encadrant le pur front blanc. Claude, au contraire, devait à ces années de vie libre et forte, suivies de ces années d’héroïsme, cet on ne sait quoi de précis, de définitif, qui, un peu plus tôt, un plus tard après la trentaine révolue, fixe l’homme dans son caractère, avec tout le charme encore et l’éclat que donne le feu de la jeunesse, mais l’assagissement de la maturité.

À ce dîner on parla beaucoup, généralement tous à la fois, des événements tragiques qui, maintenant, semblaient avoir passé comme un rapide cauchemar.