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VEUVAGE BLANC

« Et au surplus, Claude, à quoi bon tout cela ? Je vous connais. Pas plus que moi, et moins encore, vous n’auriez pu être heureux avec ce parjure entre nous. Ne m’en veuillez donc point de vous causer aujourd’hui un peu de peine. Plus tard, bientôt, vous reconnaîtrez que nous avons bien agi, car nul bonheur ne saurait être fondé sur une mauvaise action.

« Avez-vous remarqué, mon ami, une singularité de nos rencontres ? C’est sous des vêtements de deuil que vous m’aviez connue ; c’est de même, quoique adouci, que vous me retrouvez. Cela ne serait-il pas un signe ? Apparemment je suis née sous une étoile douloureuse.

« Sans doute, n’étais-je pas faite pour connaître l’amour. La vie grise est mon lot. Il en est de pires. Je demeurerai donc dans cette Saulaie qu’aimait mon second père. Par respect, par tendresse pour sa mémoire, j’en prendrai soin. Je prendrai soin de ses morts et de lui-même. Ce caveau où a été enseveli le dernier des Thierry, l’heure venue il se rouvrira pour celle qui, trop peu de temps, a tenu auprès de lui la place de sa fille. D’ici là, sa bénédiction sera sur moi pour me protéger, pour me soutenir, pour adoucir, pour embellir ma retraite et ma solitude.

« Quant à vous, mon cher cousin Claude, vous qu’il estimait, qu’il aimait, vous marcherez dans le chemin qui s’ouvre, large et clair, devant votre jeunesse, et où je souhaite vivement que vous rencontriez tous les succès, tous les bonheurs. Dans cet espoir, je vous prie de me garder un souvenir affectueux comme celui que toujours je vous garderai. »

Par un billet adressé à Ludivine, elle annonçait en même temps son immédiat départ pour le Béarn, invitée par la femme de l’ancien officier d’ordonnance, du général, que la guerre avait fait colonel et qui