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VEUVAGE BLANC

l’héritage de celui dont on quitte le deuil. À combien, plus juste titre encore lorsque cet héritage est en réalité comme si on l’avait reçu d’un père… Oui, mais le monde ignore la réalité et quand bien même je sentirais à faire bon marché de ma dignité, il m’appartient de sauvegarder celle de ses cheveux gris. Je me dois à sa justification posthume, même si je renonçais à la mienne. Puisque nul autre que vous, Claude, vous qui les aviez devinées, ne peut connaître les circonstances si particulières de cette union, je me dois, je dois à celui qui n’est plus de prouver du moins qu’en la contractant je n’ai point fait un marché avilissant pour mon caractère et qui aurait diminue la hauteur, du sien. En me voyant, si jeune encore, me confiner dans un définitif veuvage, on cessera de m’attribuer une arrière-pensée odieuse, à lui un rôle de dupe et, pire encore… On dira : « C’est étrange… elle aimait ce vieillard »… On renoncera à me prêter des sentiments bas. Et lui surtout, lui, on ne le raillera plus, on l’enviera peut-être…

« On, m’objecterez-vous, qui cela, on !… Qui s’occupe de moi dans ma modeste retraite ?… Et je suis bien absurde sans doute et bien orgueilleuse… Oh ! mon ami, laissez-moi aussi vous le dire : si je n’avais fait un serment, peut-être aujourd’hui n’aurais-je pas le courage de mon orgueil et de mon absurdité. Mais, ce serment, je l’ai fait. Je l’ai fait sur un lit de mort. Je ne l’ai fait à personne qu’à moi-même ; pour m’en relever il n’est donc personne. J’ai fait un serment, Claude. Je suis deux fois fille de soldat : je le tiendrai.

« Ce que vous pourriez me répondre, je le sais, mon ami. C’est à un mot, diriez-vous, que je sacrifie notre commun bonheur. L’honneur, il est vrai, n’est qu’un mot, mais un mot pour lequel vous avez donné votre sang. Parce que je suis une femme, m’estimeriez-vous de me voir y forfaire ?