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VEUVAGE BLANC

tirer profit. Le comte de Vorges, dont, à une lieue et demie de Bruyères, le château se terre en un vallon boisé et humide, ayant émigré, le tabellion d’alors. Théophile, avait acheté pour une poignée d’assignats sa maison « de ville », devenue bien national.

Au fond d’une assez vaste cour de belle ordonnance, que sépare de la rue une clôture en fer forgé ancien, un bâtiment de bon style Louis XV, érige son étage de pierre grise un peu verdie par le temps, que coiffe un toit aigu en ardoises. Faisant retour d’équerre, deux ailes basses, dont l’une est affectée aux bureaux de l’étude, l’autre aux dépendances relativement importantes d’une habitation semi-rurale. Et, en mélancolique contraste avec les reluisants panonceaux du portail, au-dessus de la porte à laquelle on arrive par un perron arrondi, va s’effritant l’écusson sculpté des bannerets éteints qui avaient accompagné Thibaut, comte de Champagne, à la conquête du Saint-Sépulcre.

— Fédora, Fédora ! crie une voix forte à laquelle fait écho un aboiement enroué… Voilà monsieur qui arrive… Venez prendre les paquets.

En même temps que la grosse cuisinière, Mme Sigebert apparaît en haut des marches au pied desquelles vient de s’arrêter la voiture. Et avant que Louise ait eu le temps de se reconnaître, elle se trouve enlacée entre les longs bras osseux d’une grande femme hommasse qui fait claquer sur ses joues délicates deux gros baisers de nourrice, s’écriant après chacun :

— Ah ! ma pauvre enfant, ma pauvre enfant !…

Puis, tout d’une haleine :

— Mais entrez donc. Vous devez avoir besoin de prendre quelque chose. Fédora, Fédora !… Apportez le malaga et les biscuits.

Fédora en eût été fort empêchée, ayant les mains pleines des sacs et valises que lui passait Clovis. Mais elle jugea superflu de protester contre cette déraison-