Page:Bovet - Veuvage blanc, 1932.pdf/32

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
30
VEUVAGE BLANC

Bapaume, où il commandait un régiment de marche.

— Papa était au siège de Paris, dit Louise, un petit mouvement de fierté secouant son accablement. C’est là qu’il a été décoré. Il n’avait que vingt ans.

De nouveau se fit sévère l’expression naturellement bourrue du cousin Alcide. Sur son ample poitrine il sentait cette lettre dont la pauvre enfant devait ignorer le contenu, et il savait que cette croix glorieusement gagnée par le soldat, la mort seule avait empêché qu’en fût dépouillé le spéculateur. Un instant il garda le silence. Ce n’est pas elle qui l’eût rompu. L’épuisement causé par tant de larmes l’avait plongée dans une sorte de stupeur bienfaisante.

Comme on allait au pas, montant une côte, le notaire, se retournant, aperçut en arrière le char des bagages qui trottait dans le plat de la route.

— Fructidor nous aura bientôt rejoints… Il a une bonne paire de chevaux. Clovis, arrête un peu devant la forge : j’ai deux mots à dire. Lisez l’enseigne, petite cousine… elle vous amusera.

Tandis qu’il s’enquiert d’une réparation à sa grille, Louise sourit vaguement de lire : « Clodomir Mâchefer, maréchal-vétérinaire, Ferronnerie ». Et il a bien quelque allure de leude mérovingien, ce grand gaillard sec comme une trique, aux longues moustaches rousses, dont les bras noués de muscles et les larges mains brûlées n’eussent pas été embarrassées de brandir la francisque gauloise ou la framée germanique. Cet âpre pays donne une singulière impression de force.

Quoique de tout temps les Sigebert eussent professé, sous des changements d’étiquette, cette opinion moyenne de la vieille bourgeoisie provinciale faite de libéralisme prudemment retenu, frondeuse de l’autorité et de la religion, mais méfiante de la liberté et sachant le péril de la mécréance, lors de la Révolution ils avaient su s’accommoder aux circonstances et en