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VEUVAGE BLANC

peu plus loin, aboutit à l’entrée principale de Bruyères.

De cette petite oasis de fraîcheur et d’ombre au milieu de l’échiquier des cultures, Louise avait fait son ordinaire promenade. Parfois même y apportait-elle un livre ou un ouvrage et, sous la garde du vieux Porthos, qui désormais ne la quittait non plus que son ombre, assise au pied d’un arbre, elle y passait plusieurs heures. En outre de la solitude chère à sa tristesse, elle y trouvait cet attrait si vif qu’exerce la nature. De la campagne, qui aujourd’hui se révélait à elle, tout l’amusait : les poules picorant un fumier, les pigeons roucoulant sur un toit de chaume, les vaches ruminant à l’herbage et fixant l’inconnu de leur grand œil profond et doux ; le retour, au crépuscule, des travailleurs las, regagnant le foyer dont les guide la fumée grise montant dans le ciel ; la rentrée des moutons, pressés les uns contre les autres en une vapeur chaude, et bêlant à la bergerie vers laquelle, attentif et haletant, les pousse le grand chien hirsute ; la descente, grave et lourde, du bétail aux mares où les mufles roses soulèvent des bulles dans l’eau — toutes ces choses humbles et pourtant augustes qui font la poésie de la terre aux pays même les plus dépourvus de beauté.

Au contact de cette vie intense de la nature Louise revivait. La fleur brutalement froissée de ses vingt ans se rouvrait et s’épanouissait avec les lilas sous la caresse du soleil venant réchauffer le printemps des ardeurs de l’été proche. Et en même temps une douceur entrait en elle, mettant un baume sur sa plaie saignante. Si elle avait pu bannir de sa pensée l’angoissant problème de l’avenir, il lui semblait qu’elle se fût endormie dans cette grande paix qui monte de la terre, berceuse comme une bonne nourrice, la terre bienfaisante et sereine, forte de sa passivité et de son éternité.