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VEUVAGE BLANC

combien il est salutaire de s’être, au temps du bonheur, imposé une discipline morale.

La féminité si jeune, si délicate de Louise, en même temps que faisant singulier contraste avec la gravité de ces paroles, leur enlevait tout caractère dogmatique. Craignant néanmoins que leur fût donnée une telle interprétation, avec un faible sourire, elle reprit :

— Mais ne me faites pas dire que j’ai des goûts sérieux. Je ne voudrais point paraître pédante.

— Vous y auriez de la peine, répartit Claude vivement. Non, je ne vous vois pas en concurrence avec ma poétique sœur…

— Me prêtez-vous la mauvaise pensée de faire allusion à elle ? Ce serait vous méprendre. Ma cousine Aurore est très… très littéraire…

— Votre hésitation sur le qualificatif qui lui convient la juge mieux qu’un mot de raillerie. Pauvre Aurore, Pourquoi d’ailleurs la blaguer ? Ses élucubrations ont le mérite d’être inoffensives. Tout au plus est-on tenu de subir une fois ou deux l’Ode à Molinchart, mais enfin on n’en meurt pas.

Louise ne put se défendre d’un léger éclat de rire. Cette « Ode à Bibrax », dont Claude travestissait irrévérencieusement le titre, était le chef-d’œuvre de Mlle Sigebert aînée. Et elle se mit à déclamer doucement :

Le vieux pays mérovingien
Où l’antique Bibrax drosse ses tours, hautaine.
Nid d’aigle dominant la pâle et vaste plaine,
Cet âpre pays, c’est le mien.

Ce fier pays, cœur de la France
Où naquit saint Rémy qui baptisa Clovis…


Mais Claude s’était bouché les oreilles. — Oh ! non, grâce, grâce… Il y en a quatre-vingt-