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VEUVAGE BLANC

— Où est le mal ! riposta Julie. On voit sans regarder, et si, en famille, on n’a pas le droit de faire une remarque…

— Ces remarques-là s’appellent des indiscrétions.

Il parlait avec rudesse. Sans qu’il s’en rendit bien exactement compte, ce n’est pas seulement les propos aigres-doux de sa sœur qui l’avaient irrité. Quoique, pour conformer l’exemple au précepte, il eût dû détourner ses yeux de Louise qui lisait sa lettre, il remarqua, lui aussi, qu’à présent elle était un peu pâle.

— C’est bien de M. Curtis, dit-elle en la reployant avec soin. Je lui avais demandé un service et il a l’obligeance de me renseigner à ce sujet… en anglais, ainsi que judicieusement le présumait Ludivine. Il vous envoie à tous ses kind regards et bientôt, Claude, il vous écrira.

Après un instant, elle regagna sa chambre.

Dans l’attendrissement de la séparation prochaine, Ludivine n’avait plus le cœur à taquiner son frère. Mais la douce petite malice qui était en elle trouvait à s’épancher autrement.

— Sais-tu, Julie, à quoi je pense ? dit-elle confidentiellement à sa sœur… Si au lieu d’emmener un Français avec lui, cet indigène du Manitoba en emmenait deux, dont une Française ?…

Des gros yeux en boule de jais en sortirent quasiment de leur orbite.

— Tu as lu trop de romans anglais, ma chère, et tu crois que c’est arrivé.

— Qu’y aurait-il donc d’invraisemblable ? En ces bienheureux pays, un homme ne se préoccupe pas de l’argent que peut avoir une fille dès qu’il en est amoureux.

Au vif étonnement des deux sœurs, l’intervention de son frère dispensa Julie de chercher une riposte.