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VEUVAGE BLANC

— Quelle rage, dit-il, tient les filles de croire que deux individus de sexe différent ne peuvent s’approcher sans que sévisse le fatal béguin…

— Toujours ce n’est pas à mon profit que je le croirais. Et puis, tu sais, espèce de Patagon, si on supprimait ça, tout de même, le monde finirait vite.

— Tu n’as pas le sens commun, Ludivine, répliqua-t-il agacé.

— Connu : c’est ainsi qu’on s’en tire quand on est a quia. Vous seriez bien embarrassés l’un et l’autre de m’expliquer en quoi mon idée est tellement saugrenue.

— Je ne dis point qu’elle le soit, reconnut Claude honnêtement. Mais comme nous n’en savons rien du tout, ce ne sont que des papotages.

— Du moins ne font-ils de mal à personne et c’est mieux que casser du sucre sur la tête du prochain.

Malaisément déferrée, la petite roussotte d’ordinaire avait le dernier mot. Se trouvant d’accord cette fois, par hasard, Claude et Julie, haussant les épaules, tirèrent chacun de son côté.

Positivement, il estimait absurde l’hypothèse de sa jeune sœur, beaucoup plus qu’à l’examen ne lui semblait celle émise par son ami. Et lui, si peu spéculatif, il se surprit à songer. Il songeait comme jamais encore n’avaient songé ses vingt-cinq ans. Les longues fiançailles, oui, de prime abord cela blesse ces idées qui ne sont que de l’accoutumance à une tradition. Au pays où en existe l’usage, n’est-on pas choqué, tout au rebours, de la précipitation avec quoi ailleurs les amoureux se ruent sur le mariage ? En effet, ne doit il pas y avoir un charme délicat dans le temps — des années parfois — pendant lequel, de loin comme de près, séparés même par les mers, battent à l’unisson deux cœurs tendres et fidèles ?… Quelle douceur ce doit être, dans les peines et les périls, d’avoir sur les lèvres un