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VEUVAGE BLANC

de ces hommes d’âge qui, aimant à regarder vivre la jeunesse, la mettent en sympathie et en confiance. Ce penchant paternel ressenti pour celles en qui il croyait voir l’image de ce qu’eût été sa fille inspirait à leur égard au vieux soldat un peu austère des délicatesses dont elles étaient touchées. Il savait leur parler, il comprenait leur langage ; mieux que cela n’est habituel aux hommes, il lisait dans ce livre clos qu’est une âme de vierge. Celle-ci lui parut de qualité rare : très jeune et cependant sérieuse, femme éminemment par la finesse et la grâce, mais avec tant de raison, de fermeté, de vaillance.

Assidûment il fréquentait chez les Sigebert ; volontiers les priait-il à venir chez lui. Claude aussi lui plaisait. Il ne craignait pas que fût un peu effervescente la jeune virilité. Dans le fils de son ancien camarade il aimait la rectitude, la loyauté, la spontanéité du caractère. Il approuvait cette résolution de chercher pour son labeur un champ plus vaste et plus rude. Montant chaque matin, il prêtait à Claude un de ses deux chevaux et, bien que parlant peu, ils s’entendaient à merveille, celui-ci rempli d’affectueuse déférence pour la double autorité des cheveux gris et de broderies de feuilles de chêne, celui-là lui marquant cette bonhomie un peu brusque qui est la forme amicale dans les commerces masculins donnée par un long exercice du commandement.

Entre ces deux jeunes gens, le général Thierry se sentait devenir père, et il y trouvait une infinie douceur. Illusion d’un jour. L’un partirait demain, ensuite ce serait l’autre. De celle-ci souvent il se préoccupait. Et sa pensée alors retournait bien loin en arrière, ce petit cercueil dans lequel avait été enseveli tout ce qui lui restait à chérir en ce monde. Aux heures de relâche, cet homme d’action était un rêveur. De la petite âme qui n’avait fait qu’effleurer la terre de son